mardi 31 octobre 2017

Les Allégories du Jardin - Le Canard


Blason d'Oberentfelden (Argovie, Suisse)


Allégorie 24 – Le canard


          Le canard, en se jouant dans l’eau, adressa bientôt après la parole au coq : Ô toi dont les pensées sont viles et rampantes, lui dit-il, tu ne saurais t’élever dans l’air comme le reste des oiseaux, ni te conserver en évitant le malheur ; tu es comme un mort qui ne peut parcourir la terre, et ton séjour constant dans un même lieu est la seule cause de tes maux. La bassesse de tes inclinations te fait rechercher les ordures ; et, satisfait de recueillir la rosée, tu laisses la pluie abondante. Ignores-tu donc que celui qui ne voyage pas, ne saurait obtenir des bénéfices dans son négoce, et que celui qui reste sur la grève, ne recueillera jamais des perles ! Si ton mérite spirituel était plus réel, si ta foi était plus vive, tu volerais dans l’atmosphère et tu te soutiendrais sur l’onde. Vois comment, maître de mes désirs, et disposant de l’air et de l’eau, je marche sur la terre, je nage sur les flots roulants, et je vole librement dans les régions éthérées.

          C’est surtout la mer qui est le siège de ma puissance et la mine de mon trésor : je m’élance dans son onde limpide et transparente ; je découvre les perles précieuses qu’elle recèle, et je pénètre les mystères et les merveilles de Dieu. Celui-là seul connaît ces choses, qui s’y applique sérieusement; mais l’indifférent qui demeure sur le rivage , ne peut prétendre qu’à l’écume amère. Celui qui, en se plongeant dans cet océan, ne réfléchira pas à sa profondeur incalculable, sera submergé dans ses gouffres, par le choc impétueux des flots. L’homme prédestiné au bonheur monte l’esquif de la bienveillance de sa divine amie, déploie les voiles de ses supplications, les orientant de manière à recevoir le souffle du zéphyr protecteur ; et après avoir franchi les ténèbres épaisses qui cachent les mystères, il fixe enfin le câble de l’espérance, par le moyen des attractions de la divinité, au confluent des deux mers de l’essence et des attributs, et parvient ainsi à la source même de l’existence, ou il s’abreuve d’une eau plus douce que le miel le plus pur.


          Ô toi qui veux parvenir aux plus hauts degrés du spiritualisme, tu acquerras difficilement cette perfection à laquelle tu aspires. Si tu avances , tu seras bientôt obligé de te soumettre à l’anéantissement le plus complet, à cet anéantissement qui ne peut devenir doux que pour ceux à qui Dieu a donné une idée de ce qu’il réserve à ses favoris. La pointe des piques défend l’approche de cette céleste maîtresse : telles sont ces citadelles élevées, autour desquelles les lances rembrunies forment un rempart redoutable. Avant de goûter la douceur du miel, il faut endurer une piqûre aussi cuisante que la blessure des flèches. Que de gens d’une naissance illustre errent autour de cet asile sacré ! Ils supportent avec patience les peines amères attachées à leur noble passion ; ils jeûnent, ils passent les nuits obscures en humbles prières ; la violence du désir anéantit leur esprit, une ardeur brûlante consume leur corps : mais, hélas ! le divin amour n’aperçoit encore dans leur cœur qu’un vide affreux. Renonce donc aux demeures des braves qui ont vaincu généreusement leurs passions, si tu ne peux vaincre les tiennes.


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