vendredi 22 décembre 2017

Les Allégories du Jardin - Le Loup-cervier


Blason de Hemsedal (Norvège)

Allégorie 33 – Le Loup-cervier


     J’étais plongé dans la réflexion, lorsque le loup-cervier m’adressa ces paroles : Sage admirateur de la nature, apprends de moi la fierté et les manières superbes. Dirigé par l’élévation de mes vues et par la hardiesse de mes desseins, je suis attentif à tout ce qui peut me rapprocher de l’objet de mon amour, et je finis par m’asseoir à ses côtés. Lorsque je poursuis ma proie, je ne suis pas aussi prompt que le cheval ; et lorsque je l’ai atteinte, je ne la terrasse pas à la manière du lion, mais je cherche à tromper par mes ruses et par mon astuce l’animal que je veux immoler, et si, dès l’abord, je ne puis y réussir, ma colère s’allume’avec violence. Ma famille cherche alors à m’apaiser ; mais je ne veux rien entendre, et je suis insensible aux bonnes manières et à la dou- ceur. La seule cause de mon émotion provient de ma faiblesse et de mon impuissance. Oui, il faut que celui qui veut devenir parfait, et qui n’en a pas la force, qui veut embrasser la vertu, et dont l’ame s’y refuse ; il faut, dis-je, qu’il fasse éclater contre lui-même la colère de l’amour-propre, qu’il prenne ensuite de nouvelles résolutions, qu’il redouble d’ efforts, et que, pour réussir, il ne se contente point d’une volonté faible et de projets mal concertés. On trouve encore dans ma manière d’être une leçon instructive, intelligible seulement pour celui qui a l’esprit propre à saisir les allégories ; c’est que ma gloutonnerie, accroissant la masse naturelle de mon sang et de ma chair, me procure un excessif embonpoint. Appesanti par cette graisse surabondante, je crains d’être atteint, si l’on me poursuivait, et de rester vaincu dans l’arène, si l’on m’attaquait. Tu me verras alors fuir les animaux de mon espèce, et me cacher au fond de mon repaire, pour mettre ordre a ma conscience. Je me traite moi-même, en quittant mes habitudes et en comprimant mon naturel ; je mortifie mon cœur par l’abstinence, qui est la base de la dévotion ; et lorsque mes pensées s’élèvent, que mon ardeur est vraie, que mon corps est purifié de la corruption et mon âme guérie de la langueur, je sors de ma retraite solitaire ; mes infirmités sont passées ; je ne suis plus gêné sur le lieu de mon habitation, et je m’établis ou je me plais. Si tu te sens capable de m’imiter, parcours la même carrière que moi ; à mon exemple , abandonne pour toujours tes anciennes habitudes.
     J’ai vu le loup-cervier s’emporter avec violence, lorsque, attaquant sa proie, il ne peut la terrasser ; ainsi doit faire l’homme sage et généreux qui marche dans la voie du spiritualisme, s’il désire acquérir cette douce gaieté d’esprit à laquelle on parvient si difficilement.

Al-Muqaddasi

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