vendredi 5 janvier 2018

Les Allégories du Jardin - L'Araignée


Blason de la commune d'Aasiaat (Groenland)

Allégorie 35 – L'Araignée

     Quoique tu prétendes que ma demeure est la plus frêle des habitations, et qu’on doit m’abandonner au mépris, répliqua l’araignée, ma supériorité sur toi est néanmoins tracée dans le livre de mémoire. Personne ne peut me reprocher de m’avoir donné des soins ; je n’ai pas même été l’objet de la tendresse de ma mère, ni des bontés de mon père. Dès le moment de ma naissance, je m’établis dans un coin de la maison et je commence à y filer. Une masure est ce que je préfère, et j’ai une propension naturelle pour les angles, parce qu’on peut s’y cacher et qu’ils offrent une foule de choses mystérieuses. Aussitôt que j’ai trouvé un lieu ou je puisse commodément tendre ma toile, je jette alternativement de l’une à l’autre paroi ma liqueur glutineuse, en évitant avec soin de mêler les fils de mon tissu ; puis je fais sortir par les pores de ma filière, une soie mince qui descend au travers de l’air, et m’y tenant à la renverse, accrochée par les pattes, je laisse pendre celles qui me servent de mains ; aussi, trompé par cette position, croit-on que je suis réellement morte. C’est alors que si la mouche passe, je la prends dans les filets tendus par ma ruse, et je l’emprisonne dans les rets de ma chasse. Je sais que tu es en possession d’un honneur dont je suis privée, en ce que je ne tisse point comme toi des étoffes précieuses pour cette maison de passage : mais ou étais-tu, la nuit de la caverne, lorsque de ma toile protectrice je voilai le Prophète Choisi de Dieu, que j’éloignai de lui les regards, et le délivrai ainsi des légions infidèles, faisant pour lui ce que ni les fugitifs de la Mecque ni les Médinois n’auraient jamais pu faire ! Je protégeai de même le respectable vieillard Aboubecre, qui accompagna Mahomet à Médine et dans la caverne, et qui le suivit dans le chemin de l’honneur et de la gloire. Pour toi, tu n’emploies tes vaines parures qu’à tromper et à séduire ; aussi tes étoffes, destinées à l’ornement des femmes dont l’esprit est si peu solide et à l’amusement des enfants qui n’ont pas de raison, sont interdites aux hommes, parce que l’éclat n’en saurait durer, que leur usage n’est d’aucun profit réel, et qu’on n’en peut tirer aucun avantage pour la vie spirituelle. Hélas ! combien est malheureux celui que sa maîtresse délaisse, en lui ôtant l’espoir de se donner jamais à lui ; qu’elle prive de ses faveurs, en lui interdisant même la douceur de la demande ; qu’elle éloigne impitoyablement de sa présence, en lui défendant d’approcher !

     Ô toi qui te complais dans des salons somptueux et magnifiques, tu as donc oublié que ce monde n’est autre chose qu’un temple pour prier et pour adorer Dieu. Après avoir dormi sur ces lits voluptueux, tu descendras demain dans l’étroit et sombre caveau du sépulcre ; tu seras au milieu d’êtres silencieux, mais dont le silence énergique équivaut à des paroles : Ah ! qu’un simple habit soit tout ton vêtement, et que quelques bouchées forment ta nourriture ; comme l’araignée, prends une habitation modeste, en te disant à toi-même : Demeurons ici en attendant la mort.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire