mercredi 6 mai 2020

Le Corbeau et le Renard

 
 
Retour sur une des plus célèbres fables de La Fontaine avec un dossier sur les différentes versions antérieures.

1. La version d’Ésope
 
D'après le témoignage du grec Hérodote (484-420 av. J.C.) Esope aurait vécu au VIIe-VIe siècle av. J.C. Il serait l'auteur de fables faisant partie de la tradition orale, ayant pour acteurs des animaux qui donnent des leçons aux hommes.

Un Corbeau s'était perché sur un arbre, pour manger un fromage qu'il tenait en son bec. Un Renard qui l'aperçut, fut tenté de lui enlever cette proie. Pour y réussir et pour amuser le Corbeau, il commença à le louer de la beauté de son plumage. Le Renard voyant que le Corbeau prenait goût à ses louanges : " C'est grand dommage, poursuivit-il, que votre chant ne réponde pas à tant de rares qualités que vous avez. " Le Corbeau voulant persuader au Renard que son chant n'était pas désagréable, se mit à chanter, et laissa tomber le fromage qu'il avait au bec. C'est ce que le Renard attendait. Il s'en saisit incontinent, et le mangea aux yeux du Corbeau, qui demeura tout honteux de sa sottise, et de s'être laissé séduire par les fausses louanges du Renard.


 
2. la version de Phèdre

Né en Thrace , Phèdre est emmené très jeune comme esclave à Rome . Il vécut de 15 av. J.-C. à 50 apr. J.-C. D'origine grecque, affranchi de la famille de l'empereur Auguste, il écrivit cinq livres de fables.

Celui qui aime les flatteries perfides en est d'ordinaire puni par un repentir plein de confusion. Un corbeau avait pris sur une fenêtre un fromage et se disposait à le manger perché sur le haut d'un arbre. Un renard l'aperçut et se mit à lui parler ainsi : « Que ton plumage, ô corbeau, a d'éclat ! Que de beauté sur ta personne et dans ton air ! Si tu avais de la voix, nul oiseau ne te serait supérieur. » Mais lui, en voulant sottement montrer sa voix, laissa de son bec tomber le fromage et le rusé renard se hâta de le saisir de ses dents avides. Alors le corbeau gémit de s'être laissé tromper stupidement.

texte latin d'origine

Vulpis et Corvus

Quae se laudari gaudent uerbis subdolis, serae dant poenas turpi paenitentia. Cum de fenestra coruus raptum caseum comesse uellet, celsa residens arbore, uulpes inuidit, deinde sic coepit loqui: "O qui tuarum, corue, pinnarum est nitor ! Quantum decoris corpore et uultu geris ! Si uocem haberes, nulla prior ales foret." At ille, dum etiam uocem uult ostendere, lato ore emisit caseum; quem celeriter dolosa uulpes auidis rapuit dentibus. Tum demum ingemuit corui deceptus stupor.


3. la version de Bensserade

Issac de Bensserade (1612-1691) est un poète, dramaturge et librettiste français, membre de l'Académie.

Le renard du corbeau loua tant le ramage, Et trouva que sa voix avait un son si beau, Qu'enfin il fit chanter le malheureux corbeau, Qui de son bec ouvert laissa cheoir un fromage. Ce corbeau qui transporte une vanité folle, S'aveugle et ne s'aperçoit point Que pour mieux le duper, un flatteur le cajole : Hommes, qui d'entre vous n'est corbeau sur ce point.

4. La version de La Fontaine

Jean de La Fontaine (8 juillet 1621 à Château-Thierry dans l'Aisne, France - 13 avril 1695 à Paris) est un poète, moraliste, dramaturge, librettiste et romancier français.

 
 
Maître Corbeau, sur un arbre perché,  
Tenait en son bec un fromage. 
Maître Renard, par l'odeur alléché,  
Lui tint à peu près ce langage :  
"Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.  
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !  
Sans mentir, si votre ramage  
Se rapporte à votre plumage,  
Vous êtes le Phénix* des hôtes de ces bois." 
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;  
Et pour montrer sa belle voix, 
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.  
Le Renard s'en saisit, et dit : "Mon bon Monsieur,  
Apprenez que tout flatteur 
Vit aux dépens de celui qui l'écoute :  
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute."  
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

Illustration de Benjamin Rabier
Source de La Fontaine : les traductions des fables d’Ésope et de Phèdre par le Suisse Issac Nicholas Nevelet, en 1610, et dont voici la version :

Ceux qui se plaisent aux éloges trompeurs en sont punis honteusement par un repentir tardif. Un corbeau ayant pris un fromage sur une fenêtre se posa, pour le manger, en haut d'un arbre. Un renard l'aperçut et lui dit : " quel n'est pas l'éclat de ton plumage, ô corbeau ! Quelle grâce est répandue sur ta personne et ton visage ! Si tu avais de la voix, nul oiseau ne te serait supérieur." L'autre sot voulant montrer sa voix, lâcha le fromage. Leste, le rusé renard s'en saisit de ses dents avides. Alors le corbeau dupé gémit de sa stupidité. Ceci montre combien l'intelligence a de valeur. Toujours, même sur le courage, prévaut la sagesse.

Autre illustration de Benjamin Rabier

La célèbre fable illustrée par les étiquettes de fromage...  
 

     On s'est toujours demandé quelle sorte de fromage le corbeau tenait en son bec. On affirme que ça ne pouvait en aucun cas avoir été un camembert, puisque celui-ci, selon la légende, aurait été mis au point en 1791 par une fermière du village normand de Camembert, Marie Harel, avec les conseils avisés d'un prêtre réfractaire originaire de Brie, réfugié chez elle pendant les années sombres de la Révolution. Et le fait que Pierre Corneille le mentionnait déjà dans son dictionnaire géographique publié en 1708 ne permet pas de déduire son antériorité.

     Rappelons que les fables de la Fontaine ont été publiées en 1668 pour le premier recueil et en 1678 pour le second. Si ce n'était un camembert, rien n'empêche de penser qu'il pouvait s'agir d'un Brie, connu, quant à lui, depuis l'époque de Charlemagne (9e siècle).

      La fable du Corbeau et du Renard est très certainement celle  qui la le plus inspiré les concepteurs d'étiquettes de boîtes de fromage à pâte molle (Camembert, Brie, Coulommiers, Pont-l'Évêque, Carré de l'Est, etc). Il s'agit, pour la plupart, d'étiquettes anciennes. Leur souci était d'associer le produit à une culture communément partagée et donc de "contextuer" et "d'atmophériser" l'image, à travers une référence forte et résonnante. La conception d'une étiquette s'inscrit ainsi dans la même logique que celle d'un blason, d'un sceau, d'un logo, d'une médaille, d'une pièce de monnaie, d'un billet de banque ou d'un timbre. L'image est parlante et prégnante et se veut marquer une identité forte par un visuel immédiatement reconnaissable et emblématique. Quand on voit cette richesse iconographique des étiquettes de fromage, les boîtes d'aujourd'hui font bien triste mine. Dans la plupart des cas, les deux animaux sont représentés dans la situation initiale, l'un tenant un fromage et l'autre son discours de flatterie. Certaines étiquettes montrent le fromage en train de tomber, d'autres le renard qui s'en est déjà emparé.



Ceux que la tyrosémiophilie intéresse peuvent visiter le site suivant : Le tyrosemiophile. Des milliers d'étiquettes y sont inventoriées et classées par thèmes et par départements. C'est un vrai festival d'images.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire