Un âne s’en allait sur la route, transsudant de toute son âcre odeur de bête, lors qu’il rencontra une étrange boule de poil hirsute.
Il en fut surpris. Qu’est-ce donc bien cette chose mouvante qui sautille dans tous les sens, se demanda-t-il à part lui-même.
Il s’en approcha tout en boitant de fatigue.
« Hé Ho, l’ami, bonjour ! » Lança-t-il.
La drôle de créature, qui entre nous, n’était qu’un singe, s’arrêta tout aussitôt !
« M’as-tu mandé ? Je suis à ton service !
– Je n’ai jamais vu pareil animal ! Qui es-tu donc ?
Le singe fit une pirouette, poussa un cri strident et répondit :
– A ton avis, qui puis-je bien être ?
– Je ne sais pas ! Une drôle de bête ! Viens, mettons-nous à l’ombre, je suis fourbu et accablé par toute cette chaleur ! Voici un arbre qui me semble nous faire bon accueil !
– Volontiers ! Faisons plus ample connaissance ! J’ai moi-même fait un si long voyage ! Je viens d’une contrée très lointaine ! Je cherche un âne !
– Quelle heureuse coïncidence : j’en suis un !
– Splendide ! Je n’ai pas fait tout ce voyage pour rien !
– Pourquoi cherches-tu un âne ?
– Judicieuse question pour un âne ! Toi, par essence, tu es le meilleur compagnon pour le singe que je suis !
– Pourquoi donc, l’ami ?
– On m’a dit, de là d’où je viens : si tu trouves un âne, il n’y a pas meilleur monture !
Si obstiné qu’il soit, il est solide et persévérant ! Il a des réserves de forces insoupçonnées, et sait se mettre à ton service pour peu que tu trouves le juste équilibre !
– Je reconnais que j’ai le dos assez large ! Je ne regarde pas trop la charge que l’on me pose sur le dos !
D’ailleurs, à quoi bon, puisque je suis un âne ! C’est ainsi! Je ne puis être autrement !
– On m’a dit aussi, qu’il ne ressentait pas le besoin de comprendre, ni de s’enquérir vraiment ! Lors qu’il pose une question, peu importe la réponse ! Il l’a prend, telle qu’elle vient ! Il se dit : sans doute l’autre a-t-il raison.
– Je suis assez indolent en matière d’esprit, je l’avoue ! Le discernement n’est pas pour moi. Je baisse souvent la tête. Que l’on me donne de quoi remplir ma panse est déjà énorme, n’est-ce pas ? Je crois que si j’aime quelque chose, c’est précisément mon estomac et mon repos ! Je suppose que je l’ai bien mérité ! En fait, je vais t’avouer une chose, j’ai le vif sentiment que ce qui me sert de cerveau est dans ma panse !
– Ha ha ! Magnifique ! C’est exactement ce que je cherche ! Entre nous, à quoi sert-il de réfléchir quand on peut manger, boire et dormir !
– Varier les menus est ce que j’apprécie le plus ! Offre-moi la même chose sous différents aspects, et c’est jour de gloire !
– Je comprends bien ! La sottise devient une pure intelligence lors qu’elle se cultive ! Dès qu’une chose ressemble à du raffinement, peu importe la chose dans le fond ! Une sottise bien dite et bien faite, n’est plus une sottise !
– Je l’ai toujours vu ainsi ! Nous sommes faits l’un pour l’autre !
– Il est entendu qu’un âne reste un âne ! Mais en ma compagnie tu vas devenir un âne resplendissant ! Tu seras le meilleur des ânes !
– Comment cela ?
– Je vais t’apprendre à être un âne qui ne ressemble plus à un âne et tu seras alors le plus grand des ânes !
– Tiens-donc ! Pourquoi deviendrais-je le plus grand des ânes ?
– Tout simplement parce que je suis le plus grand imitateur, le plus grand illusionniste ! Je sais donner à l’autre sa vraie dimension en son absolu !
– C’est incroyable !
– Moins tu es ce que tu es et plus tu es !
– Quel discours, je n’y comprends rien !
– Justement, tu n’as pas besoin de comprendre ! Suis-moi aveuglément ! Les aveugles voient parfois mieux que les autres !
– C’est possible ! Quand je t’aurai appris à être le plus grand des ânes, tu seras le chef de tous les ânes !
– J’aimerais bien être mon chef tout d’abord !
– Bien dit, cela aussi tu l’auras ! Tu pourras parler, penser, bouger manger et boire comme le plus grands des ânes qui s’ignore. Car, moins tu sauras que tu es un âne et plus tu le seras !
– C’est inouï ! Le rêve d’une vie !
– N’est-ce pas ! Tu prendras la place de ceux qui savent ! Ils ont fait leur temps !
– Je te le crois ! Nous ne sommes pas moins qu’eux pour ne pas avoir aussi notre temps !
– Bien, dit l’âne ! Il est temps que les ânes aient droit à la parole !
– Quel concert cela va être ! Enfin des ânes qui braient ensemble ! je vois cela ! J’imagine le résultat !
– N’est-ce pas ? Nous allons mettre en place une stratégie pour que plus personne n’écoute les sages ! Nous allons faire un de ces bruits ! Les ânes vont enfin s’exprimer ! Et plus personne ne saura qu’il est un âne ! Ce sera une grande Victoire !
– L’ami, je suis bien content de t’avoir rencontrer ! Notre amitié va être nécessairement fructueuse !
– Dans quelques années, tu verras, je te le dis, les ânes vont enfin faire parler d’eux ! »
L’âne se mit à rire, et à rire ! Entre nous, il s’agissait d’un pitoyable braiment ! Mais, chut, l’âne croyait vraiment qu’il riait de la plus belle façon !
Naïla
Voir également sur Naissance et connaissance
* Illustration extraite du manuscrit Augsburg Etymachie Traktat - Cod. 160 (1447)
Staats und Stadtbibliothek Augsburg (Allemagne, Bavière)
Et aussi Le singe en héraldique sur Herald Dick Magazine
* Illustration extraite du manuscrit Augsburg Etymachie Traktat - Cod. 160 (1447)
Staats und Stadtbibliothek Augsburg (Allemagne, Bavière)
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