Blason
de Magnus de Löben (Bershammar Armorial, XVe siècle)
Ma
chère Mado, ce matin, en me réveillant, la chose m'est apparue très
clairement, comme une évidence fulgurante et fulminante, un genre de
satori sociologique et même, oserai-je ajouter, cosmologique :
nous vivons dans un monde de fous ! Mais attention, pas de fous
au sens hyperbolique de l'expression et qui ne dépasse guère la
valeur d'une simple interjection aux traits un peu forcés, mais au
sens véritablement psychiatrique du terme. Certes, il y là des degrés de folie,
allant de la bonhomie molle à la démence quasi diabolique, de
l'apathie la plus désespérante à l'activisme le plus hystérique.
Certes, chaque degré évolue dans son service mais sans,
cependant, y demeurer confiné, car tout cela se croise et se heurte,
se mélange et se confond, s'attire et se repousse, se cherche et
s'exclut, bref, se nourrit et s'entretient mutuellement, en un jeu de
scène incessant où les acteurs se prennent réellement pour leurs
personnages. Et c'est à cela même, me dis-je, que l'on reconnaît
les fous : des gens qui se prennent au sérieux, même quand ils
ont l'air de ne l'être pas. D'ailleurs, ce qui à leur sujet ne
laisse pas d'étonner, quand on les voit s'amuser, c'est qu'ils croient réellement s'amuser ! Il s'en dégage comme une sorte de
conformisme de l'euphorie, d'ivresse grégaire artificiellement obtenue, bref, de joie fallacieuse à péremption rapide, le
décibel du rire étant proportionnel au niveau du désœuvrement
intérieur. Le monde est dévoré par l'ennui, écrivait
Bernanos. Aurait-il pressenti ce que Philippe Murray sera le premier
à identifier clairement : l'avènement d'homo festivus ?
Je ne suis pas loin de le penser. Je te suggère donc de découvrir
les écrits de ces deux auteurs auxquels tu peux ajouter L'homme
libre et les ânes sauvages de Lanza del Vasto et L'euphorie
perpétuelle de Pascal Bruckner.
Foin
donc de la littérature à gros tirages,
Des
romans de gare qui finiront chez Boulimier
Et
des prix Machin qui ne vendent que des mirages,
Et
préfère-leur une bibliothèque de fin limier
Qui
nourrisse ton esprit tout autant que ton âme.
Il
est un paradoxe qu'on observe couramment :
Les
gens appréhendent la mort comme l'absolu drame,
Tout
en tuant le temps, sans cesse, étrangement ;
Comme
s'ils se voulaient hâter ce qu'il sont à fuir...
Ce
monde leur offre mille stratégies pour enfouir
Leurs
consciences dans la tourbe des marécages psychiques
Dont
les pestilences nous sautent aujourd'hui au nez.
Il
faut dire que l'époque n'est pas très raffinée.
Serait-ce de l'Apocalypse le stade méphitique ?
Le
Spectre à trois faces
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