Décryptage et Revalorisation de L'Art de L’Écu, de La Chevalerie et du Haut Langage Poétique en Héraldique. Courtoisie, Discipline, Raffinement de La Conscience, état de Vigilance et Intention d'Unicité en La Fraternité d'un Nouveau Monde !

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vendredi 19 janvier 2018

Les Allégories du Jardin - Le recueil


Blason de la ville de Beseda (Oblast de Leningrad, Russie)

Une allégorie (du grec állon, « autre chose », et agoreúein, « parler en public ») est une forme de représentation indirecte qui emploie une chose (une personne, un être animé ou inanimé, une action) comme signe d'une autre chose, cette dernière étant souvent une idée abstraite ou une notion morale difficile à représenter directement. Apparu au XIIIe siècle, à l'époque du Roman de la Rose en France, Révélations des secrets des oiseaux et des fleurs constitue l'une des expressions les plus élaborées de l'enseignement traditionnel soufi. L'auteur, Izzidin Al-Muqaddasi, était un poète et homme de lettres d'origine arabe.

Les Allégories du Jardin nous font visiter le Monde Imaginal et nous enseignent, à travers une invitation au regard en soi-même, que Tout est en tout (et inversement). Ainsi, en s'éveillant à cette « autre chose », l'âme visite en réalité son jardin intérieur.

jeudi 18 janvier 2018

Les Allégories du Jardin - Le Griffon


Drapeau de Fedoskinskoe (Oblast de Moscou, Russie)

Allégorie 37 et dernière – Le Griffon


          Ô vous qui savez comprendre les allégories, en voici une qui ne peut manquer de vous être agréable : si vous croyez pouvoir saisir le sens caché de la parabole que je vous présente, écoutez attentivement ces allusions énigmatiques qui renferment mon secret.
          On rapporte qu’un jour les oiseaux s’assemblèrent et qu’ils se dirent les uns aux autres : Nous ne pouvons nous passer d’un roi que nous reconnaissions et par qui nous soyons reconnus : allons donc en chercher un, attachons-nous à lui, et, soumis à ses lois, nous vivons à l’abri de tout mal, sous sa protection semblable à l’ombre d’un arbre au feuillage épais. On nous a dit qu’il y a, dans une des îles de la mer, un oiseau nommé Antamogreb, dont l’autorité s’étend de l’orient à l’occident : pleins de confiance en cet être, volons donc vers lui. Mais la mer est profonde, leur dit-on ; la route est difficile et d’une longueur incalculable : vous avez à franchir des montagnes élevées, à traverser un océan orageux et des flammes dévorantes. Croyez-le, vous ne sauriez parvenir à cette île mystérieuse ; et quand même vous surmonteriez tous les obstacles, la pointe acérée des lances empêche d’approcher de l’objet sacré : restez donc dans vos nids, car votre partage est la faiblesse, et ce puissant monarque n’a pas besoin de vos hommages, comme l’expose ce texte du Coran : Dieu n’a pas besoin des créatures. Le Destin vous avertit d’ailleurs de vous défier de votre ardeur, et Dieu lui-même vous y engage. Cela est vrai, répondirent-ils ; mais les désirs de l’amour ne cessent de nous faire entendre ces mots du Coran : Allez vers Dieu. Ils s’élancèrent donc dans l’air, avec les ailes auxquelles fait allusion ce passage du même livre, Ils pensent à la Création du ciel et de la terre, supportant avec patience la soif brûlante du midi, d’après ces paroles, Celui qui sort de sa maison pour fuir Ür. Ils marchèrent sans se détourner jamais de leur route : car, prenaient-ils à droite, le désespoir venait les glacer ; prenaient-ils à gauche, l’ardeur de la crainte venait les consumer. Tantôt ils s’efforçaient de se devancer mutuellement ; tantôt ils se suivaient simplement l’un l’autre. Les ténèbres d’une nuit obscure, l’anéantissement, les flammes, la défaillance, les flots irrités, l’éloignement, la séparation, les tourmentaient tour-à-tour... lls arrivèrent tous enfin à cette île pour laquelle ils avaient abandonné leur patrie, mais l’un après l’autre, sans plumes, maigres et abattus, tandis qu’ils étaient partis surchargés d’embonpoint.
          Lorsqu’ils furent entrés dans l’île de ce roi, ils y trouvèrent tout ce que l’âme peut désirer, et tout ce que les yeux peuvent espérer de voir. On dit alors à ceux qui aimaient les délices de la table ces mots du Coran, Prenez des aliments sains et légers, en récompense du bien que vous avez fait dans l’autre vie ; à ceux qui avaient du goût pour la parure et pour la toilette, ces mots du même livre, Ils seront revêtus de draps précieux et d’habits moirés, et seront placés en fate les uns des autres ; à ceux pour qui les plaisirs de l’amour avaient le plus d’attraits, Nous les avons unis aux houris célestes. Mais lorsque les contemplatifs s’aperçurent de ce partage : Quoi ! dirent-ils, ici comme sur la terre notre occupation sera de boire et de manger ! Quand donc l’amant pourra-t-il se consacrer entièrement à l’objet de son culte ! quand obtiendra-t-il l’honneur qu’appellent ses vœux brûlants ! Non, il ne mérite pas la moindre considération, celui qui accepte le marché de la dupe. Quant à nous, nous ne voulons que ce roi pour qui nous avons traversé des lieux pierreux, franchi tant d’obstacles divers, et supporté avec patience la soif ardente du midi, en nous rappelant ce passage du Coran : Celui qui sort de sa maison pour fuir... Nous faisons d’ailleurs peu de cas des parures et des autres agréments. Non, encore une fois, par celui qui seul est Dieu, ce n’est que Lui que nous désirons, que lui seul que nous voulons pour nous. Pourquoi donc êtes-vous venus, leur dit alors le roi, et qu’avez-vous apporté ! L’humilité qui convient à tes serviteurs, répondirent-ils ; et certes, nous osons le dire, tu sais mieux que nous-mêmes ce que nous désirons. Retournez-vous-en, leur dit-il. Oui, je suis le roi, que cela vous plaise ou non ; et Dieu n’a pas besoin de vous. Seigneur, répliquèrent-ils, nous savons que tu n’as pas besoin de nous ; mais personne parmi nous ne peut se passer de toi. Tu es l’Être excellent ; et nous sommes dans l’abjection ; tu es le fort, et nous sommes la faiblesse même. Comment pourrions-nous retourner aux lieux d’où nous venons ! nos forces sont épuisées, nos cohortes sont dans un état de maigreur inexprimable, et les traverses auxquelles nous avons été en proie ont anéanti notre existence corporelle.
          Par ma gloire et par ma dignité, dit alors le roi, puisque votre pauvreté volontaire est vraie, et que votre humilité est certaine, il est de mon devoir de vous retirer de votre position malheureuse. Guérissez celui qui est malade ; et venez tous dans ce jardin frais et ombragé, goûter le repos le plus voluptueux. Que celui dont l’espoir s’est attiédi, prenne un breuvage où l’on aura mêlé du gingembre ; que celui, au contraire, qui s’est laissé emporter par la chaleur brûlante du désir, se désaltère dans une coupe où l’on aura mêlé du camphre. Dites à cet amant fidèle qui a marché dans la voie du spiritualisme, Bois à la fontaine nommée Sal-sabil. Amenez à son médecin le malade, puisque sa fièvre amoureuse est véritable ; approchez de sa maîtresse l’amant, puisque sa mort mystique est complète. Alors leur seigneur les combla de bonheur et de joie ; il les abreuva d’une liqueur qui les purifia ; et aussitôt qu’ils en eurent bu, ils furent plongés dans la plus douce ivresse. Ils dansèrent ensuite au son d’airs mélodieux : ils désirèrent de nouveaux plaisirs, et ils les obtinrent ; ils firent diverses demandes, et ils furent toujours exaucés. Ils prirent leur vol avec les ailes de la familiarité, en présence de Gabriel ; et, pour saisir le grain sans tache du chaste amour, ils descendirent dans le lieu le plus agréable, où était le roi le plus puissant. Aussitôt qu’ils y furent arrivés, ils entrèrent en possession du bonheur, et, jetant avidement leurs regards dans ce lieu sacré, ils virent que rien ne cachait plus le visage de leur maîtresse adorée ; que les coupes étaient disposées ; que les amants étaient avec leur divine amie... Ils virent enfin ce que l’oeil n’a jamais vu, et ils entendirent ce que l’oreille n’a jamais entendu.


         Ô mon âme, réjouis-toi à l’heureuse nouvelle que je vais t’apprendre : ta maîtresse chérie reçoit de nouveau tes voeux et tes hommages ; sa tente, asile du mystère, est ouverte à ses amants fidèles. Respire avec volupté les parfums enivrants qui s’exhalent de cette tribu sacrée. Vois l’éclair, avant-coureur de l’union la plus tendre, briller au loin dans la nue. Tu vas vivre dans la situation la plus douce ; toujours auprès de ta bien-aimée, toujours avec l’idole de ton cœur, sans que rien puisse jamais t’en séparer. Les larmes de l’absence ne mouilleront plus tes paupières ; une barrière funeste ne t’éloignera plus de ce seuil béni ; un voile importun ne te cachera plus ces traits radieux : tes yeux, ivres d’amour, contempleront, à tout jamais, la beauté ravissante de cet objet dont une foule d’amants désirent si ardemment la vue, et pour qui tant de cœurs sont consumés d’amour.


Al-Muqaddasi



Blason de la Poméranie (Allemagne)

mercredi 10 janvier 2018

Les Allégories du Jardin - La Fourmi


Blason de la municipalité de Multia (Finlande)

Allégorie 36 – La Fourmi

     Si la fortune ennemie te décoche ses traits, dit alors la fourmi, oppose-lui un calme inaltérable ; et lorsque tu verras quelqu’un qui se prépare à parcourir la carrière du spiritualisme, pars avant lui, et ne néglige point follement de régler tes actions dans cette vie. Prends leçon de moi, et sens combien il importe de faire des préparatifs et de se munir d’un viatique pour la vie future. Vois le but élevé que j’ai constamment devant les yeux, et considère de quelle manière la main de la Providence a ceint mes reins comme ceux de l’esclave, afin de me dispenser de serrer et de délier tour à tour ma ceinture. Dès qu’au sortir du néant j’ouvre les yeux à la lumière, on me voit empressée à me ranger parmi les serviteurs de la céleste amie ; je m’occupe ensuite, dirigée par l’assistance divine, à recueillir les provisions nécessaires , et j’ai pour cela un avantage que l’homme le plus intelligent ne possède point, c’est que mon odorat s’étend à la distance de plusieurs parasanges. Je mets en ordre, dans ma cellule, les grains que j’ai ainsi rassemblés pour ma nourriture ; et celui qui fait ouvrir l’amande et le noyau, m’inspire de couper chaque grain en deux parties égales : mais si c’est de la semence de coriandre, je la divise en quatre, guidée par le même instinct ; et cette précaution est nécessaire pour détruire en elle la faculté germinative ; car, partagée en deux, elle ne laisserait pas de se reproduire. Lorsque, dans l’hiver, je crains que l’humidité du sol n’altère mes grains, je les expose à l’air un jour où le soleil luit, afin que sa chaleur les sèche. Tel est constamment mon usage et tu prétends que ces mesures sont mal prises, qu’elles doivent m’être funestes, et que c’est, d’ailleurs, marquer trop d’attachement pour les biens de ce monde ! Tu te trompes, je te l’assure ; si tu connaissais ce qui me porte à agir de la sorte, tu m’excuserais toi-même, et tu ferais de moi plus de cas que tu n’en fais. Sache que Dieu (qu’Il soit béni et loué!) a des armées que lui seul connaît, comme l’attestent ces mots du Coran : Personne ne connaît les armées de ton Seigneur, si ce n’est Lui Seul. Or il y a sous terre l’armée des fourmis dont le nombre est incalculable. Nous observons les règles du service de Dieu, nous ne nous attachons qu’à Lui, nous ne nous confions qu’en Lui, et nous n’avons que Lui en vue ; aussi suscite-t-il, du milieu de nous, celles qu’Il veut élever sur nous, et Il demande que nous soyons soumises, afin que nos chefs nous promettent des bienfaits. Après avoir entendu cette promesse, nous sortons sans contrainte, nous résignant à mourir ; et, au moment de notre départ, notre situation semble exprimer ces mots :

     Reçois, ô ma bien-aimée, les adieux que je t’adresse, les yeux mouillés des larmes de la douleur, en pensant que je vais être séparé de toi. Nous vivrons, je l’espère, et Dieu couronnera notre amour ; mais si la mort vient nous frapper, nous nous retrouverons ensemble dans une vie plus heureuse.

*
* *

     Nous employons tous nos efforts, amassant sans cesse pour être utiles à d’autres qu’à nous. Mais exposées à mille genres de mort, parmi nous les unes périssent de faim ou de soif, les autres tombent dans une précipice, d’où elles ne peuvent sortir : ici c’est une mouche qui les saisit ; là un quadrupède ou un animal quelconque qui les foule aux pieds ; plus loin, c’est un oiseau qui en fait sa nourriture. Parmi nous, les unes meurent saintement, tandis que d’autres ne sauraient obtenir le salut ; enfin, d’après ces mots du Coran, Il y a des croyants qui ont observé sincèrement ce qu’ils ont promis à Dieu, nous mettons devant nous ce que nous avons, et nous le partageons également entre nous sans aucune partialité et sans aucune injustice.
     Si tu es du nombre des élus, tu te convertiras par l’autorité du Coran ; mais si l’aile de ta volonté ne peut atteindre aux choses élevées, le destin t’est contraire.


Lire aussi

                   Ce regard                      Discours d'une fourmi                    Il est une Fourmi

vendredi 5 janvier 2018

Les Allégories du Jardin - L'Araignée


Blason de la commune d'Aasiaat (Groenland)

Allégorie 35 – L'Araignée

     Quoique tu prétendes que ma demeure est la plus frêle des habitations, et qu’on doit m’abandonner au mépris, répliqua l’araignée, ma supériorité sur toi est néanmoins tracée dans le livre de mémoire. Personne ne peut me reprocher de m’avoir donné des soins ; je n’ai pas même été l’objet de la tendresse de ma mère, ni des bontés de mon père. Dès le moment de ma naissance, je m’établis dans un coin de la maison et je commence à y filer. Une masure est ce que je préfère, et j’ai une propension naturelle pour les angles, parce qu’on peut s’y cacher et qu’ils offrent une foule de choses mystérieuses. Aussitôt que j’ai trouvé un lieu ou je puisse commodément tendre ma toile, je jette alternativement de l’une à l’autre paroi ma liqueur glutineuse, en évitant avec soin de mêler les fils de mon tissu ; puis je fais sortir par les pores de ma filière, une soie mince qui descend au travers de l’air, et m’y tenant à la renverse, accrochée par les pattes, je laisse pendre celles qui me servent de mains ; aussi, trompé par cette position, croit-on que je suis réellement morte. C’est alors que si la mouche passe, je la prends dans les filets tendus par ma ruse, et je l’emprisonne dans les rets de ma chasse. Je sais que tu es en possession d’un honneur dont je suis privée, en ce que je ne tisse point comme toi des étoffes précieuses pour cette maison de passage : mais ou étais-tu, la nuit de la caverne, lorsque de ma toile protectrice je voilai le Prophète Choisi de Dieu, que j’éloignai de lui les regards, et le délivrai ainsi des légions infidèles, faisant pour lui ce que ni les fugitifs de la Mecque ni les Médinois n’auraient jamais pu faire ! Je protégeai de même le respectable vieillard Aboubecre, qui accompagna Mahomet à Médine et dans la caverne, et qui le suivit dans le chemin de l’honneur et de la gloire. Pour toi, tu n’emploies tes vaines parures qu’à tromper et à séduire ; aussi tes étoffes, destinées à l’ornement des femmes dont l’esprit est si peu solide et à l’amusement des enfants qui n’ont pas de raison, sont interdites aux hommes, parce que l’éclat n’en saurait durer, que leur usage n’est d’aucun profit réel, et qu’on n’en peut tirer aucun avantage pour la vie spirituelle. Hélas ! combien est malheureux celui que sa maîtresse délaisse, en lui ôtant l’espoir de se donner jamais à lui ; qu’elle prive de ses faveurs, en lui interdisant même la douceur de la demande ; qu’elle éloigne impitoyablement de sa présence, en lui défendant d’approcher !

     Ô toi qui te complais dans des salons somptueux et magnifiques, tu as donc oublié que ce monde n’est autre chose qu’un temple pour prier et pour adorer Dieu. Après avoir dormi sur ces lits voluptueux, tu descendras demain dans l’étroit et sombre caveau du sépulcre ; tu seras au milieu d’êtres silencieux, mais dont le silence énergique équivaut à des paroles : Ah ! qu’un simple habit soit tout ton vêtement, et que quelques bouchées forment ta nourriture ; comme l’araignée, prends une habitation modeste, en te disant à toi-même : Demeurons ici en attendant la mort.

mercredi 27 décembre 2017

Les Allégories du Jardin - Le ver à soie


Blason de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes, Provence)

D'or à deux cocons de ver à soie de sable posés en sautoir.

Allégorie 34 – Le ver à soie

    Les qualités viriles ne consistent ni dans les formes athlétiques, ni dans la privation des boissons et des mets, dit alors le ver à soie ; et ce n’est point un mérite de prodiguer des choses faites pour être prodiguées. La véritable générosité est celle qui apprend à donner libéralement son nécessaire et sa propre existence. Aussi, en faisant l’énumération des bonnes qualités, trouve-t-on les plus précieuses chez de simples vers. Je fais partie de cette classe innombrable, et je suis susceptible d’attachement envers ceux qui ont de l’amitié pour moi. Graine dans le principe, je suis recueilli comme la semence que l’on veut confier à la terre ; ensuite, tantôt les femmes, tantôt les hommes, m’échauffent dans leur sein. Quand la durée de ces soins vivifiants est parvenue à son terme, et que la puissance divine me permet de naître, je sors alors de cette graine, et je me montre à la lumière. Je jette ensuite un regard sur moi-même, le jour de ma naissance, et je vois que je ne suis qu’un pauvre orphelin, mais que l’homme me prodigue ses attentions, qu’il éloigne de moi les mets nuisibles, et qu’il ne me donne jamais que la même nourriture. Mon éducation étant terminée, et dès que je commence à acquérir de la force et de la vigueur, je me hâte de remplir envers mon bienfaiteur les devoirs qu’exige la reconnaissance, et de rendre ce que je dois à celui qui m’a bien traité. Je me mets donc à travailler d’une manière utile à l’homme, me conformant à cette sentence : La récompense d’un bienfait peut-elle être autre que le bienfait ! Sans la moindre prétention, ni sans me plaindre du travail pénible que je m’impose, je fais avec ma liqueur soyeuse, par l’inspiration du destin, un fil que les gens doués du plus grand discernement ne sauraient produire, et qui, après ma mort, excite envers moi la reconnaissance. Ce fil sert à faire des tissus qui ornent celui qui les porte, et qui flattent les gens les plus sérieux. Les rois eux-mêmes se parent avec orgueil, des étoffes que l’on forme de mon cocon, et les empereurs recherchent les vêtements où brille ma soie ; c’est elle qui décore les salles de jeu, qui donne un nouvel attrait aux jeunes beautés dont le sein commence à s’arrondir, qui est enfin la parure la plus voluptueuse et la plus élégante.

     Après avoir fait pour mon bienfaiteur ce que la reconnaissance exige de moi, et satisfait ainsi aux lois de la réciprocité, je fais mon tombeau de la maison que j’ai tissée, et dans cette enveloppe doit s’opérer ma résurrection ; je travaille à rendre ma prison plus étroite, et, me faisant mourir moi-même, je m’y ensevelis comme la veille. Pensant uniquement à l’avantage d’autrui, je donne généreusement tout ce que je possède, et je ne garde pour moi que la peine et les tourments. De plus, exposé aux peines de ce monde, dont les fondements sont le malheur et l’infortune, je suis obligé de supporter ce que me fait souffrir un feu violent, et la jalousie de l’araignée ma voisine, qui est injuste et méchante envers moi. Cette araignée, dont l’emploi est de faire la plus frêle des demeures, non contente de me chagriner par son voisinage importun, ose encore rivaliser avec moi, et me dire : Mon tissu est comme le tien, notre travail a les mêmes défauts, et nous éprouvons également l’ardeur du feu : c’est donc en vain que tu prétendrais avoir la supériorité sur moi. Fi donc ! lui dis-je de mon côté, ta toile est un filet à prendre des mouches et rassembler la poussière, tandis que mon tissu sert d’ornement aux princes les plus distingués. N’es-tu pas d’ailleurs celle dont le Coran a publié de toute éternité la faiblesse, et ta faiblesse n’est-elle point, par suite, passée en proverbe. Oui, je puis le dire, il y a entre toi et moi la même différence que celle qui existe entre le noir artificiel que donne l’antimoine, et la noirceur naturelle de l’œil ; entre la pleine lune et une étoile à son couchant.

     C’est de celui qui dirige dans le sentier de la vertu et qui dispense les bienfaits que je tiens le secret de filer ma liqueur soyeuse. Toi qui veux imiter mon travail, crois-tu que l’on puisse jamais tirer de ta toile grossière les parures magnifiques que l’on forme avec mon fil précieux ! Peut-on donc sans mentir s’arroger un mérite quelconque, lorsqu’on n’est pas utile à autrui !

Blason de Mormoiron (Vaucluse, Provence)

D'azur au mûrier arraché, accosté à dextre d'une lettre M capitale et à senestre
d'une
ruche, le tout d'or, au chef cousu de gueules chargé d'une clef aussi d'or posée en fasce.

vendredi 22 décembre 2017

Les Allégories du Jardin - Le Loup-cervier


Blason de Hemsedal (Norvège)

Allégorie 33 – Le Loup-cervier


     J’étais plongé dans la réflexion, lorsque le loup-cervier m’adressa ces paroles : Sage admirateur de la nature, apprends de moi la fierté et les manières superbes. Dirigé par l’élévation de mes vues et par la hardiesse de mes desseins, je suis attentif à tout ce qui peut me rapprocher de l’objet de mon amour, et je finis par m’asseoir à ses côtés. Lorsque je poursuis ma proie, je ne suis pas aussi prompt que le cheval ; et lorsque je l’ai atteinte, je ne la terrasse pas à la manière du lion, mais je cherche à tromper par mes ruses et par mon astuce l’animal que je veux immoler, et si, dès l’abord, je ne puis y réussir, ma colère s’allume’avec violence. Ma famille cherche alors à m’apaiser ; mais je ne veux rien entendre, et je suis insensible aux bonnes manières et à la dou- ceur. La seule cause de mon émotion provient de ma faiblesse et de mon impuissance. Oui, il faut que celui qui veut devenir parfait, et qui n’en a pas la force, qui veut embrasser la vertu, et dont l’ame s’y refuse ; il faut, dis-je, qu’il fasse éclater contre lui-même la colère de l’amour-propre, qu’il prenne ensuite de nouvelles résolutions, qu’il redouble d’ efforts, et que, pour réussir, il ne se contente point d’une volonté faible et de projets mal concertés. On trouve encore dans ma manière d’être une leçon instructive, intelligible seulement pour celui qui a l’esprit propre à saisir les allégories ; c’est que ma gloutonnerie, accroissant la masse naturelle de mon sang et de ma chair, me procure un excessif embonpoint. Appesanti par cette graisse surabondante, je crains d’être atteint, si l’on me poursuivait, et de rester vaincu dans l’arène, si l’on m’attaquait. Tu me verras alors fuir les animaux de mon espèce, et me cacher au fond de mon repaire, pour mettre ordre a ma conscience. Je me traite moi-même, en quittant mes habitudes et en comprimant mon naturel ; je mortifie mon cœur par l’abstinence, qui est la base de la dévotion ; et lorsque mes pensées s’élèvent, que mon ardeur est vraie, que mon corps est purifié de la corruption et mon âme guérie de la langueur, je sors de ma retraite solitaire ; mes infirmités sont passées ; je ne suis plus gêné sur le lieu de mon habitation, et je m’établis ou je me plais. Si tu te sens capable de m’imiter, parcours la même carrière que moi ; à mon exemple , abandonne pour toujours tes anciennes habitudes.
     J’ai vu le loup-cervier s’emporter avec violence, lorsque, attaquant sa proie, il ne peut la terrasser ; ainsi doit faire l’homme sage et généreux qui marche dans la voie du spiritualisme, s’il désire acquérir cette douce gaieté d’esprit à laquelle on parvient si difficilement.

Al-Muqaddasi

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Le Lynx

mercredi 13 décembre 2017

Les Allégories du Jardin - Le Cheval


Blason du Land de Basse-Saxe (Allemagne)

Allégorie 32 – Le Cheval

     Ô toi qui es devenu fakir par les leçons que t’a données le chien, et patient par celles que t’a données le chameau, dit ensuite le cheval, si tu désires connaître le sentier qui mène aux actions glorieuses, je t’apprendrai, à mon tour, en quoi consistent les choses distinguées, et ce qui constitue le véritable emploi des efforts pour obtenir le succès. Vois comment le dos chargé de celui qui m’accable d’injures, je m’élance, dans ma course, avec autant de rapidité que l’oiseau dans son vol, que la nuit lorsqu’elle étend son voile lugubre sur la terre, que le torrent fugitif. Si mon cavalier est celui qui poursuit, il atteindra facilement par mon secours l’objet qu’il désire ; s’il est poursuivi, au contraire, j’empêche alors qu’on ne le joigne, et mon galop précipité le soustrait a son adversaire, qui, atteignant à peine la poussière que mes pieds lui rejettent, me perd bientôt de vue, et ne peut plus s’en tenir qu’à ce qu’il entend dire de moi. Si la patience du chameau est éprouvée, ma reconnaissance pour les bontés qu’on m’accorde est connue ; le chameau parvient à la vérité au but qu’il se propose ; pour moi je suis toujours au premier rang dans la guerre contre les infidèles. Au jour de la bataille, lorsque l’heure de l’attaque est arrivée, je me précipite avec audace comme le brave que rien ne saurait effrayer, et je précède les coups de ses flèches meurtrières ; mais le chameau reste en arrière, pour qu’on le charge de pesants fardeaux, ou pour que l’on cherche dans ses bagages. Les obligations qui me sont imposées, ne sont remplies que par celui qui sait tenir ses engagements ; et celui-là seul qui est léger et rapide dans sa marche, peut faire le chemin que je dois parcourir : aussi m’étudié-je à acquérir de l’agilité , me préparant ainsi au jour de la course. Si je vois quelqu’un qui soit plongé par sa folle étourderie dans une ivresse dont il ne peut revenir, et que les agréments de la vie jettent dans l’illusion la plus complète, « Tout ce que vous possédez, lui dis-je, est périssable ; les biens seuls de Dieu sont éternels. » Ô toi qui es repoussé loin de cet objet que tu désires avec tant d’ardeur, et qui es écarté de ce combat mystérieux, jette sur la nature un regard attentif, comprends quel est le but du Créateur, et ne tarde pas à t’imposer à toi-même des lois sévères, à donner à tes sens des liens étroits. Rappelle-toi que le destin a fixé l’instant de ta mort, qu’il a calculé le nombre de tes respirations ; et crains le jour terrible du jugement à venir.

     Quant à moi, lorsque le palefrenier m’a couvert de mes harnais, celui qui me monte n’a rien à redouter de ma fougue. Combien de fois ne mange-t-il pas les produits de la chasse que j’ai rendue fluctueuse par ma vitesse. Toujours je laisse derrière moi celui qui cherche à me devancer, et je devance toujours celui que je poursuis. On me lie avec des entraves, afin que je n’attaque pas les, autres chevaux ; on me guide avec des rênes, pour que je ne m’écarte pas de la route que je dois tenir ; on ne s’altère pas ; on me serre la bride , de crainte que j’oublie de me tenir droit ; et l’on me ferre les pieds, pour que je ne me fatigue pas lorsque je m’élance dans la carrière. Le bonheur m’est promis ; un rang distingué m’est donné : on me traite avec égards, et ce n’est que pour ma propre conservation qu’on m’impose des liens. L’Être bienfaisant par excellence a répandu ses bienfaits sur moi, et, dans sa bonté éternelle, a dicté en ma faveur ses jugements en ces termes : ce jusqu’au jour de la résurrection, le bonheur est lié à la touffe de crins qui orne le front des chevaux.» Fils du vent, j’ai reçu l’inspiration de bénir et de louer Dieu ; mon dos procure une sorte de gloire à celui qui le monte ; mon flanc est un trésor pour ceux qui me possèdent ; et ma société , un amulette. Combien de fois ne m’a-t-on pas poussé dans l’arène, sans que j’aie jamais laissé voir de la faiblesse ! Com- bien de fois, ayant remporté la palme de la vitesse dans la course, n’ai-je pas été couvert de la soie, ornement des infidèles ! Combien de fois aussi n’ai-je point triomphé des hypocrites, et ne les ai-je point fait disparaître de la surface de la terre ! Est-il encore question d’eux, et les entends-tu en aucune manière !

     Avance d’un pas rapide et léger ; tu obtiendras un bonheur d’autant plus précieux, qu’il est plus difficile de s’unir à cet objet chéri. Amants généreux, marchez avec courage à la suite du Prophète que la sainteté la plus parfaite décore. Ceux qui sont parvenus, dans la carrière mystique, aux plus hauts degrés du spiritualisme, ont joui de la vue de ce visage ravissant, qui brille du plus vif éclat. Peut-être atteindras-tu ces hommes heureux qui, dès l’aurore de leur vie, ont goûté ces doux instants de plaisir extatique.

     Oui, dis-je alors au cheval, on trouve en toi les plus belles qualités, et tes actions sont les plus recommandables.

lundi 4 décembre 2017

Les Allégories du Jardin - Le Chameau


Blason de la ville de Tcheliabinsk (Russie)

Allégorie 31 – Le Chameau

     Toi qui désires marcher dans le chemin qui conduit au palais des rois, dit alors le chameau, si tu as pris du chien des leçons d’abstinence et de pauvreté volontaire, je veux t’en donner, actuellement, de fermeté et de patience. Celui, en effet, qui se décide à embrasser la pauvreté volontaire, doit s’appliquer aussi à acquérir la patience ; car le pauvre doué de cette vertu a droit d’être compté au nombre des riches.

     Chargé de pesants fardeaux, j’achève les traites les plus longues, j’affronte les dangers du désert et je souffre avec patience les traitements les plus durs, sans que rien me décourage jamais. Je ne me précipite point dans ma marche comme un insensé, mais je me laisse conduire même par un jeune enfant, tandis que, si je le voulais, je pourrais résister à l’homme le plus robuste. Doux et obéissant par caractère, je porte les fardeaux et les bagages divisés en deux parties égales. Je ne suis ni perfide ni facile à me rebuter ; ayant réussi à vaincre tout obstacle, je n’en suis pas plus présomptueux ; et les difficultés ne me font point rebrousser chemin. Je m’enfonce hardiment dans les routes fangeuses et glissantes, où les voyageurs les plus intrépides eux-mêmes craindraient de s’engager. Je souffre avec constance la soif ardente du midi, et je ne m’écarte jamais de la ligne qui m’est tracée. Après avoir rempli mon devoir envers mon maître, et être arrivé au terme de ma course, je rejette mon licou sur mon dos, et je vais dans les champs, prenant pour ma nourriture ce qui appartient au premier venu et dont on peut s’emparer sans le moindre scrupule ; mais si tout-à-coup j’entends la voix du chamelier, je lui livre de nouveau ma bride, en m’interdisant la jouissance du sommeil, et portant le cou en avant, comme pour parvenir plus tôt à mon but. Si je m’égare, mon conducteur me dirige ; si je fais un faux pas, il vient à mon secours ; si j’ai soif, le nom de mon amie est mon eau et ma nourriture. Destiné au service de l’homme, d’après ce passage du Coran ou Dieu dit : Il porte vos fardeaux, je ne cesse pas d’être en voyage ou sur pied, jusqu’à ce que je parvienne au point où finit le pèlerinage de la vie.

     Ô Saad ! si tu viens dans ces lieux, interroge un cœur qui a pénétré dans l’asile inviolable où demeure cet objet ravissant ; et si tes yeux aperçoivent au loin ce tertre sablonneux, souviens-toi de cet amant passionné que trouble et agite l’amour le plus tendre.
     Chameaux, quand nous verrons Médine, arrêtez-vous... Ne quittons plus cette enceinte sacrée. Mais quoi ! lorsque la vallée d’Alakil paraît devant eux , ils s’éloignent en imitant la marche balancée de l’autruche.
     Mon frère, verse avec moi des pleurs de désir pour cette beauté dont le visage ravissant couvre de confusion la pleine lune ; et ne manque pas de dire, quand tu seras dans ce jardin béni : Habitant de la tribu , je te salue.


mardi 28 novembre 2017

Les Allégories du Jardin - Le Chien


Blason de La Suze-sur-Sarthe (Sarthe, Pays de la Loire)

Allégorie 30 – Le Chien

     Tandis que j’étais plongé dans le charme de la conversation des oiseaux, et que j’attendais la réponse qu’ils feraient à la huppe, un chien, qui était près de la porte, m’adressa ces mots, tout en recueillant des miettes de pain parmi les ordures : Ô toi qui n’a pas encore soulevé le voile du mystère ; toi qui, tout entier aux choses du monde, ne peux t’élever à la cause première ; toi qui traînes avec pompe la robe de l’amour-propre, imite mes nobles actions, prends mes qualités recommandables, et, sans t’arrêter à l’infériorité de mon rang, écoute ce que je vais te dire de la sagesse de ma conduite. À ne me considérer qu’à l’extérieur, je serai la tes yeux un objet de mépris ; mais pour peu que tu m’examines, tu verras que je suis un vrai faquin. Toujours à la porte de mes maîtres, je ne recherche pas une place plus distinguée; sans cesse avec les hommes, je ne change point de manière d’agir : on me chasse, et je reviens ; on me frappe, et je ne garde jamais de rancune ; mon amitié est toujours la même, et ma fidélité est à toute épreuve. Je veille, lorsque les hommes sont plongés dans le sommeil, et je fais une garde exacte quand la table est servie. On ne m’assigne cependant ni salaire, ni nourriture, ni même un logement, encore moins une place distinguée. Je témoigne de la reconnaissance lorsqu’on me donne ; je suis patient lorsqu’on me repousse ; et l’on ne me voit nulle part me plaindre, ni pleurer sur les mauvais traitements que j’éprouve. Si je suis malade, personne ne vient me visiter ; si je meurs, on ne me porte point dans un cercueil ; si je quitte un lieu pour me rendre dans un autre, on ne me munit d’aucune provision ; et je n’ai ni argent dont on puisse hériter ; ni champ qu’on puisse labourer. Si je m’absente, on ne désire pas mon retour ; les enfants eux-mêmes ne me regrettent point ; personne ne verse une larme ; et si l’on me retrouve, on ne me regarde pas. Cependant, je fais sans cesse la garde autour de la demeure des hommes, et je leur suis constamment fidèle. Obligé de rester sur les ordures qui sont auprès de leurs portes, je me contente du peu que je reçois, à défaut des bienfaits dont je devrais être comblé. Si mes mœurs te plaisent, suis mon exemple, et conforme-toi à ma conduite ; et si tu veux m’imiter, règle ta vie sur la mienne.

     Apprends de moi comment il faut remplir les devoirs de l’amitié, et, à mon exemple, sache t’élever aux vertus les plus nobles. Je ne suis qu’un animal vil et méprisé ; mais mon cœur est exempt de vices. J’ai coutume de garder les habitants du quartier où je me trouve, surtout durant la nuit. Toujours patient, et reconnaissant même, de quelque manière que l’on me traite, je ne me plains jamais des injustices des hommes à mon égard, et je me contente de mettre toute ma confiance en Dieu seul. Malgré ces habitudes précieuses, personne ne fait attention à moi, soit qu’une faim cruelle me fasse expirer, ou que l’infortune m’abreuve de la coupe amère de la peine et de la douleur. Du reste, j’aime mieux supporter les mauvais traitements que j’éprouve, que de perdre ma propre estime et de m’avilir à demander. Oui, je ne crains pas de le dire, mes qualités, malgré le peu de considération dont je jouis, l’emportent sur celles des autres animaux.

mercredi 22 novembre 2017

Les Allégories du Jardin - La Huppe


Blason de Roque-sur-Pernes (Vaucluse, Provence)

D'azur à la huppe essorante d'argent, becquée et onglée de gueules,
accompagnée de sept étoiles d'or, quatre rangées en chef et trois en pointe.

Allégorie 29 – La Huppe

     Après que le corbeau fut venu troubler les heureux moments que je passais dans ce jardin, et qu’il m’eut engagé à me tenir en garde contre la haine que je pourrais m’attirer, je cessai de faire attention aux riants objets qui m’environnaient, et je retournai à la solitude de mes pensées. Alors une douce rêverie s’étant emparée de moi, je me sentis comme inspiré, et je crus entendre distinctement ces paroles : Ô toi qui écoutes le langage énigmatique des oiseaux, et qui te plains que le bonheur semble te fuir, sache que, si le cœur était attentif à s’instruire, l’intelligence pénétrerait le sens des allégories ; le pèlerin de ce monde demeurerait dans la voie, et celui que les plaisirs éblouissent, ne s’égarerait pas. Si l’esprit était bon, il pourrait apercevoir les signes de la vérité ; si la conscience savait comprendre, elle apprendrait sans peine les bonnes nouvelles ; si l’âme s’ouvrait aux influences mystiques, elle recevrait des lumières surnaturelles ; si l’on savait écarter le voile, l’objet caché se montrerait ; si l’intérieur était pur, les mystères des choses invisibles paraîtraient à découvert, et la divine maîtresse se laisserait voir. Si tu t’éloignais des choses du monde, la porte du spiritualisme s’ouvrirait pour toi ; si tu te dépouillais du vêtement de l’amour-propre, il n’existerait pour toi aucun obstacle ; si tu fuyais le monde de l’erreur, tu verrais le monde spirituel ; si tu coupais les liens qui t’attachent aux plaisirs des sens , les vérités dogmatiques se montreraient a toi sans nuages ; et si tu réformais tes mœurs, tu ne serais point privé de l’aliment divin. Si tu renonçais à tes désirs, tu parviendrais au plus haut degré de la vie contemplative ; si tu subjuguais tes passions, Dieu te rapprocherait de lui ; il te réunirait à lui, si, pour lui plaire, tu te séparais de ton père ; enfin si tu renonçais a toi-même, tu trouverais auprès de la divinité la plus douce des demeures. Mais, bien loin de là, captif dans le cachot de tes inclinations, enchaîné par tes habitudes, esclave des voluptés, soumis aux illusions des sens, tu es retenu par la froideur de ta détermination, tandis que le feu de la cupidité te consume, et que l’excès d’une joie insensée t’accable. Une langueur funeste t’aveugle ; les impulsions d’un amour déréglé t’enflamment le sang ; ta faible volonté ne forme que des résolutions tièdes, et ne se livre qu’à des pensées glacées ; ton esprit corrompu te jette dans un état d’hésitation pénible, et ton jugement vicieux te fait paraître mauvais ce qui est bon, et bon ce qui est mauvais.

     Tu devrais entrer dans l’hôpital de la piété, et, présentant le vase de l’affliction, exposer le récit de tes souffrances à ce médecin qui connaît ce qu’on tient secret et ce qu’on lui découvre. Tu devrais tendre vers lui le poignet de ta soif brûlante, pour qu’il tâtât le pouls de ta maladie, qu’il examinât la nature de ta fièvre, et qu’après avoir connu exactement ta situation malheureuse, il te livrât à celui qui est chargé d’infliger les peines de la loi, lequel te lierait avec les liens de la crainte, te frapperait avec les verges de l’indécision et de la futurition, en te rafraîchissant en même temps avec l’éventail de l’espérance ; te garderait ensuite dans le sanctuaire de la protection, et écrirait sur le cahier de ton traitement le rétablissement de ta santé. Il préparerait pour toi le myrobalan du refuge, la violette de l’espoir, la scammonée de la confiance, le tamarin de la direction, la jujube de la sollicitude, la sébeste de la correction, la prune de la sincérité et la casse du libre arbitre ; il concasserait le tout sur la terre de l’acceptation, le pilerait dans le mortier de la patience, le tamiserait dans le tamis de l’humilité, le dépurerait par le sucre de l’action de grâces, et t’administrerait ensuite ce médicament, après la veille nocturne, dans la solitude du matin, en présence du médecin spirituel, en tête-à-tête avec la divine amie, à l’insu du rival jaloux, pour voir si ton agitation s’apaiserait, si la chaleur de tes passions se refroidirait, si ton cœur, que les voluptés t’avaient arraché, pourrait reprendre sa place, si ton tempérament acquerrait ce degré d’équilibre qui constitue la santé spirituelle ; si ton oreille pourrait s’ouvrir au langage mystique, et entendre ces douces paroles. Quelqu’un demande-t-il quelque chose ! Je suis prêt à l’exaucer ; pour voir enfin si ta vue intérieure ferait des efforts afin d’être éclairée, et si tu serais capable de contempler les choses extraordinaires et merveilleuses du spiritualisme.

     Considère la huppe : lorsque sa conduite est régulière et que son cœur est pur, sa vue perçante pénètre dans les entrailles de la terre, et y découvre ce qui est caché aux yeux des autres êtres ; elle aperçoit l’eau qui y coule, comme tu pourrais la voir au travers d’un cristal ; et, guidée par l’excellence de son goût et par sa véracité. Voici, dit-elle, de l’eau douce, et en voilà qui est amère. Elle ajoute ensuite : Je puis me vanter de posséder, dans le petit volume de mon corps, ce que Salomon n’a jamais possédé, lui à qui Dieu avait accordé un royaume comme personne n’en a jamais eu ; je veux parler de la science que Dieu m’a départie, science dont jamais ni Salomon, ni aucun des siens, n’ont été doués. Je suivais partout ce grand monarque, soit qu’il marchât lentement, soit qu’il hâtât le pas, et je lui indiquais les lieux où il y avait de l’eau sous terre. Mais un jour, je disparus tout à coup, et, durant mon absence, il perdit son pouvoir. Alors, s’adressant à ses courtisans et aux gens de sa suite : Je ne vois pas la huppe, leur dit-il ; s’est-elle éloignée de moi ! S’il en est ainsi, je lui ferai souffrir un tourment violent, et peut-être l’immolerai-je à m’a vengeance, à moins qu’elle ne me donne une excuse légitime.
(Ce qu’il y a de remarquable , c’est qu’il ne s’informa de moi que lorsqu’il eut besoin de mon secours.) Puis, voulant faire sentir l’étendue de son autorité, il répéta les mêmes mots : Je la punirai ; que dis-je ! je l’immolerai. Mais le Destin disait : Je la dirigerai vers toi, je la conduirai moi-même. Lorsque je vins ensuite de Saba, chargée d’une commission pour ce roi puissant, et que je lui dis : Je sais ce que tu ne sais pas, cela augmenta sa colère contre moi, et il s’écria : Toi qui, dans la petitesse de ton corps, renfermes tant de malice, non contente de m’avoir mis en colère , en t’éloignant ainsi de ma présence, tu prétends encore être plus savante que moi ! Grâce, lui dis-je, ô Salomon ! Je reconnais que tu as demandé un empire tel qu’aucun souverain n’en aura jamais de semblable ; mais tu dois avouer aussi que tu n’as pas de même demandé une science à laquelle personne ne pût atteindre ; je t’ai apporté de Saba une nouvelle que tous les savants ignorent. Ô huppe , dit-il alors, on peut confier les secrets des rois à celui qui sait se conduire avec prudence ; porte donc ma lettre. Je m’empressai de le faire, et je me hâtai d’en rapporter la réponse. Il me combla alors de ses faveurs ; il me mit au nombre de ses amis, et je pris rang parmi les gardiens du rideau qui couvrait sa porte, tandis qu’auparavant je n’osais en approcher. Pour m’honorer, il me plaça ensuite une couronne sur la tête, et cet ornement ne sert pas peu à m’embellir. D’après cela, la mention de mon immolation a été abrogée, et les versets où il et question de ma louange ont été lus.

     Pour toi, si tu es capable d’apprécier mes avis, rectifie ta conduite, purifie ta conscience, redresse ton naturel, crains celui qui t’a tiré du néant, profite des leçons instructives qu’il te donne, quand même il se servirait, pour le faire, du ministère des animaux ; et crois que celui qui ne sait pas tirer un sens allégorique du cri aigre de la porte, du bourdonnement de la mouche, de l’aboiement du chien, du mouvement des insectes qui s’agitent dans la poussière ; que celui qui ne sait pas comprendre ce qu’indiquent la marche de la nue, la lueur du mirage, la teinte du brouillard, n’est pas du nombre des gens intelligents.

     Tu es plus douce à mes yeux que le souffle du zéphyr qui erre la nuit dans les jardins : la moindre idée me trouble et m’agite ; chaque objet agréable me semble être une coupe ou j’aperçois tes traits adorés, et dans chaque son je crois entendre ta voix chérie.


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samedi 18 novembre 2017

Les Allégories du Jardin - Le Corbeau


Blason de Raben Steinfeld (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, Allemagne)

Allégorie 28 – Le Corbeau


     J’écoutais encore le discours de la bougie, me livrant en même temps aux idées voluptueuses qu’elle m’avait rappelées, lorsque j’entendis le croassement lugubre d’un corbeau qui, entouré de ses amis, annonçait la fatale séparation. Couvert d’un habit de deuil, et seul, au milieu des hommes, vêtu de noir, il gémissait comme celui qui est dans le malheur, et déplorait sa douleur cruelle. Ô toi, qui ne fais que te lamenter, lui dis-je alors, ton cri importun vient troubler ce qu’il y a de plus pur et rendre amer ce qu’il y a de plus doux. Pourquoi ne cesses-tu, dès le matin, d’exciter à la séparation, en t’adressant aux campements printaniers ! Si tu vois un bonheur parfait, tu proclames sa fin prochaine ; si tu aperçois un château magnifique, tu annonces que des ruines vont bientôt lui succéder ; tu es de plus mauvais augure que Cacher, pour celui qui se livre aux douceurs de la société, et plus sinistre que Jader, pour l’homme prudent et réfléchi.

     Le corbeau, prenant alors, pour se défendre, le langage éloquent et expressif de sa situation : Malheureux, me dit-il, tu ne distingues pas le bien d’avec le mal ; ton ennemi et ton ami sincère sont égaux à tes yeux ; tu ne comprends ni l’allégorie, ni la réalité ; les avis que l’on te donne sont pour toi comme le vent qui souffle aux oreilles, et les paroles du sage sont à l’ouïe de tes passions comme l’aboiement du chien. Eh quoi, tu ne réfléchis donc pas à ton départ prochain de la vaste surface de la terre pour les ténèbres du tombeau et pour le réduit étroit du sépulcre ! Tu ne penses pas à l’accident qui cause au père des hommes des regrets si cuisants ; aux prédications de Noé sur ce séjour où personne ne jouit d’un instant de repos ; à l’état d’Abraham, l’ami de Dieu, au milieu des flammes ou l’avait fait jeter Nemrod ! Tu ne sais point te régler sur les exemples instructifs que t’offrent la patience d’lsmaël, sur le point d’être immolé par son père ; la pénitence de David, qui pleura son crime si amèrement ; la piété exemplaire et l’abnégation du Messie ! Ignores-tu que le bonheur le plus parfait a un terme, et que la volupté la plus pure s’évanouit ; que la paix s’altère, et que la douceur devient amertume ! Quel est l’espoir que la mort ne détruise, la prudence que le destin ne rende vaine ! Le messager du bonheur n’est-il pas suivi de près par celui du malheur ! Ce qui est facile ne devient-il pas difficile ! Où trouve-t-on une situation immuable ! Quel est l’homme qui ne passe point ! Quelle est la fortune qui reste dans les mains de celui qui la possède ! Que sont devenus ce vieillard dont la longue vie étonnait, cet heureux mortel qui nageait dans l’opulence, cette beauté au teint de roses et de lis ! La mort ne vient-elle pas retrancher les hommes, les uns après les autres, du nombre des vivants ! Ne met-elle pas au même niveau, dans la poussière, le vil esclave et le maître superbe ! L’inspiration divine n’a-t-elle pas fait entendre au voluptueux, plongé dans le sein du plaisir, ces mots du Coran, où Dieu dit à Mahomet : Annonce que la jouissance de ce monde est peu de chose ! Pourquoi donc censurer mon gémissement et prendre à mauvais augure mon croassement plaintif, soit au lever de l’aurore, soit aux approches de la nuit ! Si tu connaissais ton bonheur véritable comme je connais le mien, ô toi qui blâmes ma conduite, tu n’hésiterais pas à te couvrir comme moi d’un vêtement noir, et tu me répondrais en tout temps par des lamentations ; mais les plaisirs occupent tous tes moments ; ta vanité et ton amour-propre te retiennent. Pour moi, j’avertis le voyageur que les lieux où il s’arrête seront bientôt ravagés ; je prémunis celui qui mange contre les mets nui- sibles du monde, et j’annonce au pèlerin qu’il approche du terme. Ton ami sincère est celui qui, te parle avec franchise, et non celui qui te croit sur parole ; c’est celui qui te réprimande, et non celui qui t’excuse ; c’est celui qui t’enseigne la vérité, et non celui qui venge tes injures ; car quiconque t’adresse des remontrances, réveille en toi la vertu lorsqu’elle s’est endormie ; et en t’inspirant des craintes salutaires, il te fait tenir sur tes gardes. Quant à moi, par la couleur obscure de mes, ailes et par mes gémissements prophétiques, j’ai voulu produire sur ton esprit les mêmes impressions ; je t’ai fait même entendre mon cri dans les cercles de la société. Mais on peut m’appliquer ce proverbe : Tu parles à un mort.

     Je pleure sur la vie fugitive qui m’échappe, et j’ai sujet de faire entendre des plaintes ; je ne puis m’empêcher de gémir toutes les fois que j’aperçois une caravane dont le conducteur accélère la marche. Les gens peu réfléchis me censurent sur mes habits de deuil ; mais je leur dis : C’est précisément par ce langage emblématique que je m’efforce de vous instruire ; je suis semblable au khathib, et ce n’est pas une chose nouvelle que les khathihs soient vêtus de noir. Tu me verras, à l’aspect d’un campement printanier, annoncer dans chaque vallée qu’il changera bientôt de place, et gémir ensuite sur les vestiges à demi effacés, me plaignant de la cruelle absence. Mais ce ne sont que des objets muets et inanimés qui répondent à ma voix. Ô toi qui as l’oreille dure, réveille-toi enfin, et comprends ce qu’indique la nuée matinale : il n’y a personne sur la terre qui ne doive s’efforcer d’entrevoir quelque chose du monde invisible. Souviens-toi que tous les hommes sont appelés plus tôt ou plus tard. Je me serais fait entendre, si j’eusse adressé la parole à un être vivant ; mais, hélas ! celui à qui je parle, est un mort.



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