Mon du clan Iseebi no Maru
Livre 49
Toute l’histoire de l’humanité a été façonnée par la peur. L’homme éprouve cette viscérale peur d’Être. S’il ne projetait pas en lui la durée, il comprendrait qu’il n’y a que l’instant. Projeter vient de la peur et entraîne le désir de dominer. Le sentiment de perte entraîne aussi la peur. Or, si l’homme cessait de s’approprier, il ne sentirait plus cet effroi presque indicible. Tout espace vital qui se voit menacé est la conséquence d’une illusoire perception. Même les idées s’expriment semblablement à des conquêtes inavouées. Or, celui qui te veut du bien, ne cherche ni à te posséder, ni à t’enfermer, ni même à te conditionner dans un espace-temps. Il est à te donner tout l’espace pour que tu te trouves toi, quand même serait-il à bousculer ton inertie. Mais, celui qui a peur ne peut entrer ni dans l’émerveillement, ni en relation avec quiconque, ni même vivre le vrai partage. Souvent, sur la route, l’on rencontre des marcheurs. Quelques-uns te tendront naturellement le pain. D’autres ne te verront pas même. Pourquoi donc ? Sont-ils à se voir pour voir l’autre ? Sont-ils à se connaître pour connaître l’autre ? En L’Etant, il est une gratuité du Regard. Pour atteindre cette profondeur de sentiment, il est nécessaire de connaître la mort en tous ses états. La mort est un rappel constant et redonne à chaque chose sa pleine dimension. En ayant vécu cet effacement, cette occultation nécessaire, le Samouraï vit la mort qui réduit en poussière tout ce qui est périssable. celle-ci te donne à voir. Rien ne subsiste face à la mort si ce n’est ce qui ne jamais s’efface. Une fois expérimentée cette pleine réalité, tu es en Ce Regard de L’Être. Tu épouses chaque regard de Vie. Tu n’en négliges aucun. Le Samouraï connaît la valeur de la vie et connaît la sacralité de chaque regard qu’il pose sur l’autre, car il connaît le regard Réel. Il ne se sent pas séparé et ne se sent pas enchaîné. Il n'éprouve pas la menace, il ne vole rien puisqu'il n’est pas dans l'illusion que Cela lui revient. Il ne cherche pas à paraître, mais à Être. Il entre en Son Éternité. Son Silence est le résultat d’une application minutieuse et consciencieuse de sa pratique. Chaque jour, son geste lui donne à entrer en la profondeur. Cette minutie remonte depuis le lieu de sa découverte. Il se découvre Samouraï. Il ne prétend pas à Cela. Il est Cela qui se déploie. Lors que je quittai ma famille, je savais que Cela me le donnait à le vivre sans que je n’y fusse conditionné. Autre chose se révélait et me guidait. Sache, Ô Fils aimé que lors qu’une question hante ton âme, elle te libère de tout ce qui n’est pas à te donner La Réponse. Le Samouraï ne ment pas. Il ne trompe pas. Il étudie chaque stratégie de l’âme et les recense pour les avoir toujours reconnues, parce que La Question connaît précisément La Réponse.
Mon du clan Yotsu Oni Kashiwa
Livre 50
Il est une Réalité que nous ne pouvons ignorer aujourd’hui. Tout cheminant est en Son déroulé de vie. Il ne saurait échapper à ce qui se présente à lui, quand bien même serait-il à le croire. Il ne s’agit nullement de nous enfermer dans l’idée d’une fatalité. Ce qui advient est clairement lisible dès lors que nous sommes assez lucides pour observer que la multiplicité et la différence sont une Réalité indéniable dans le cycle de l’humanité. Nous ne naissons pas tous dans les mêmes cultures, ni dans les mêmes schémas de pensées. La langue qui éclot de par un héritage familial et contextuel est encore une des caractéristiques qui nous donne à nous développer de telle ou telle manière. Pourtant, nous ne sommes pas foncièrement conditionnés par le contexte social, culturel et économique. Il serait injuste de prétendre que notre évolution fût complètement et définitivement liée à cela. Nous observons des spécificités de destinées qui sont telles des échappées de conscience. Dire que mon maître usa d’une stratégie à mon égard, bien cruelle aux yeux de certains, est encore se placer en-dessous de la réalité. Il me dévasta complètement. Les premières années furent les plus difficiles. J’étais le plus grand des rustres. Tout ce qui relevait de la subtilité m’apparaissait comme foncièrement inutile. Pourtant, n’avais-je pas cette Question primordiale au goût du souffle vital qui me taraudait ? Qu’est-ce donc que La Vie ? Cette Question en faisait poindre d’autres et jamais rien ne me semblait définitivement acquis. Ma jeunesse était impétueuse. La vanité me collait à la peau. Mon maître me fit vivre la totalité de l’inconfort. Tout ce qui me sécurisait, il me l’ôtait. Jamais je ne pouvais m’installer dans la routine. Il me remettait en cause sans cesse. Il n’agissait ainsi qu’avec moi et je tempêtais. Je pouvais même entrer dans des colères quasi meurtrières. Je montais sur les collines et pratiquais le maniement du sabre durant des heures. Je redescendais avec l’impression d’avoir combattu un dragon. Mon dragon. Quand je le vis, quand je vis qu’il me colonisait avec mon total assentiment, alors je compris que je ne devais plus le combattre. Car plus je levais mon arme contre lui et plus je lui donnais de la force et du pouvoir. J’appris à le voir mais aussi à lui dire implacablement : tu ne passeras plus. Je ne te donnerai plus cette part en moi que tu dévores. Je t’ai enfin reconnu. C’est ainsi que le paysan reprit son labeur. Il sua sang et eau et ne céda pas devant la tentation de tout abandonner. Or, il se passa cette chose extraordinaire : tout devint plus vrai encore. Son Amour naquit dans les décombres. Il le vit jaillissant, lumineux et il le contempla comme un parfait étranger. Ce n’était plus lui qui cultivait son jardin, mais bien le contraire : le Jardin le cultivait. Chaque graine devenait une lumière à son cœur chagriné. Chaque plant l’arrosait de sa tendre présence. Le Jardin n’était plus à l’extérieur, mais bien en lui. Il appris à marcher au milieu des allées et à se laisser compénétrer par le langage de chaque chose. Le Jardin était à resplendir non pas grâce à ses efforts, mais à partir d’une Source beaucoup plus ancienne, au-delà de lui-même. Tout le voulait lui en manifester la réalité. Tout lui en donnait la juste mesure.
© Océan sans rivage, La Voie du Samouraï