Le moine
Peinture d'Eduard Daege (1805-1883, Allemand), Le vieux capucin
Voilà sans doute des jours qu'ils sont en chemin,
À travers monts et vaux, plaines et forêts ;
Le gentil novice prend le vieux moine par la main
Car l'homme est épuisé ; il faut faire un arrêt,
Trouver dans le coin quelque auberge hospitalière
Où l'on puisse se restaurer, reposer les pieds
Meurtris par les pierres du sentier et les roncières.
Et puis cet endroit a plutôt l'air d'un guêpier ;
Une relique en or n'est pas un moindre trésor ;
L'on risque avec le bien perdre aussi son corps ;
Il faut se hâter, le crépuscule approche.
Pourvu que le lieu ne se nomme point l'Auberge Rouge,
Où certaines nuits, quand tout dort et plus rien ne bouge,
L'on vous trucide pour ensuite finir à la broche.
Pastorale bacchique
Sous la ligne bleue des Vosges, au creux d'un vallon
Qui s'ouvre grand sur la plaine de ma vieille Alsace,
Est un cloître séculaire et secret jalon
Où j'aime à poser mes pieds las et ma besace.
Le lieu saint est d'excellente hospitalité ;
Est un cloître séculaire et secret jalon
Où j'aime à poser mes pieds las et ma besace.
Le lieu saint est d'excellente hospitalité ;
Les moines y sont fort enjoués, point trop mystiques,
Mais de bonne rencontre et de franche cordialité,
Disciples de Bacchus et princes de la barrique.
Mais de bonne rencontre et de franche cordialité,
Disciples de Bacchus et princes de la barrique.
Bien plus que des frères, je les tiens pour proches parents.
L'on y peut boire un vin blanc presque transparent,
Frais comme une eau de source et servi dans une cruche.
L'on y peut boire un vin blanc presque transparent,
Frais comme une eau de source et servi dans une cruche.
Après une courte oraison au bon Saint Morand,
Moine de Cluny devenu patron des vignerons,
Je repars dans le monde et ses chemins d'embûches.
Frère Maurice
Toile d'Eduard von Grützner (1846-1925)
L'office de complies est le dernier d'une journée
Consacrée à la pieuse prière et aux rustiques
Travaux ; c'est ainsi que le temps est gouverné
Et il en sera ainsi jusqu'au viatique.
Sortant de la chapelle, les bons moines affichent l'air
Réjoui de ceux qui savent que le souper est proche ;
Certes, l'esprit est fort mais faible est la chair.
L'on s'installe à table sitôt que sonne la cloche ;
Au menu : du gras bouillon et du vin d'Anjou
Qui teintera d'un beau rubicond plus d'une joue.
L'on s'interroge : Que diantre fait donc frère Maurice ?
L'on a fort soif et pas l'ombre d'un seul cruchon !
L'on court s'enquérir pour trouver le patachon
Ronflant près d'une barrique par tous les orifices.
Les malheurs de Frère Maurice
Peinture d'Eduard von Grützner (German, 1846–1925)
Après l'ita missa est de l'office de Sexte
(Qui a lieu à la sixième heure ou à midi),
Les bons moines du cloître, repus de pieux textes,
Courent aux cuisines, l'antichambre du paradis.
L'esprit s'est élevé des odeurs de l'encens ;
La chair, bien plus modeste, d'un fumet se flatte ;
Aucun frère ne trouve à cela rien d'offensant ;
L'on se recueille, soit ; mais qu'après, la joie éclate !
Tandis que l'on s'adonne aux terrestres délices,
L'on s'inquiète fort de l'absence de frère Maurice :
« Que diantre le vin n'est-il point déjà servi ? »
L'on envoya frère Jean s'enquérir de la chose ;
Il découvre le caviste à terre, et pour cause !
« Quelque démon m'aura poussé, sans préavis. »
Plusieurs demeures
Peintures d'Eduard von Grützner (1846-1925)
Entre les offices et les travaux, les bons moines
Du cloître apprécient fort les temps de détente ;
En son domaine propre, chacun trouve son avoine ;
Les uns font oraison pour leur âme pénitente,
Les autres trouvent leur joie en la riche bibliothèque
Où l'on peut feuilleter des manuscrits anciens ;
Mais certains mettent sur leur salut une hypothèque,
Bien assurés que Dieu reconnaîtra les siens.
Si trop la barque se charge, l'on ira à confesse ;
Le Seigneur est indulgent, lui-même le professe ;
Frère Maurice, issu d'un ordre contemplatif,
N'est certes pas le dernier à penser de la sorte :
« Le Ciel a plusieurs demeures et autant de portes ;
Il y a bien là quelque gardien compréhensif. »
Du cloître apprécient fort les temps de détente ;
En son domaine propre, chacun trouve son avoine ;
Les uns font oraison pour leur âme pénitente,
Les autres trouvent leur joie en la riche bibliothèque
Où l'on peut feuilleter des manuscrits anciens ;
Mais certains mettent sur leur salut une hypothèque,
Bien assurés que Dieu reconnaîtra les siens.
Si trop la barque se charge, l'on ira à confesse ;
Le Seigneur est indulgent, lui-même le professe ;
Frère Maurice, issu d'un ordre contemplatif,
N'est certes pas le dernier à penser de la sorte :
« Le Ciel a plusieurs demeures et autant de portes ;
Il y a bien là quelque gardien compréhensif. »
Peinture d'Eduard von Grützner (1846-1925)
Un caviste pas triste
Peinture d'Eduard von Grützner (1846-1925)
Tandis que le monde file son train en son tumulte,
Une autre affaire met le cloître en émoi
Où certains, c'est notoire, ont de Bacchus le culte ;
Il faut y mettre ordre avant la fin du mois.
A cet effet, le Chapitre tiendra assises,
Présidé, comme il se doit, par Messire l'Abbé ;
Il y aura des sanctions, la chose est acquise ;
Boire, c'est entendu, mais de là à s'imbiber !
Frère Maurice, le principal visé, s'en amuse :
« L'on a beau dire, j'ai du bon vin la science infuse ;
L'on boira piquette avant qu'il ne soit longtemps ;
Les fêtes carillonnées menacent d'être fort tristes
A écarter le plus avisé des cavistes ;
Tandis que le monde file son train en son tumulte,
Une autre affaire met le cloître en émoi
Où certains, c'est notoire, ont de Bacchus le culte ;
Il faut y mettre ordre avant la fin du mois.
A cet effet, le Chapitre tiendra assises,
Présidé, comme il se doit, par Messire l'Abbé ;
Il y aura des sanctions, la chose est acquise ;
Boire, c'est entendu, mais de là à s'imbiber !
Frère Maurice, le principal visé, s'en amuse :
« L'on a beau dire, j'ai du bon vin la science infuse ;
L'on boira piquette avant qu'il ne soit longtemps ;
Les fêtes carillonnées menacent d'être fort tristes
A écarter le plus avisé des cavistes ;
J'ai mes défauts mais mes qualités tout autant. »
Les Vignes du Ciel
Peinture d'Eduard von Grützner (1846-1925)
Le cloître ayant réuni son Chapitre
Au sujet des manquements du bon frère Maurice
Dont le cursus se mesure en hectolitres
De vin engloutis en ses entrailleuses abysses,
L'on décida de reconduire dans ses fonctions
Celui qui est d'entre tous le meilleur caviste,
Sans pour autant lui donner la royale onction
Ni le soumettre à une rigueur janséniste.
« Il se dit qu'à force de fréquenter les barriques,
L'on en devenait une soi-même ; Est-ce si tragique ?
Mes frères, je veux bien me sacrifier pour cela ;
J'ai le goût sûr pour reconnaître un cépage
Et le don alchimique pour en tirer breuvage ;
Au sujet des manquements du bon frère Maurice
Dont le cursus se mesure en hectolitres
De vin engloutis en ses entrailleuses abysses,
L'on décida de reconduire dans ses fonctions
Celui qui est d'entre tous le meilleur caviste,
Sans pour autant lui donner la royale onction
Ni le soumettre à une rigueur janséniste.
« Il se dit qu'à force de fréquenter les barriques,
L'on en devenait une soi-même ; Est-ce si tragique ?
Mes frères, je veux bien me sacrifier pour cela ;
J'ai le goût sûr pour reconnaître un cépage
Et le don alchimique pour en tirer breuvage ;
J'imagine les Vignes du Ciel, dans l'Au-delà... »
Une boisson papale
Peinture d'Eduard von Grützner (1846-1925)
« La vie de l'esprit a-t-elle jamais contrarié
« La vie de l'esprit a-t-elle jamais contrarié
Celle de la chair, pour peu de bien tenir chacune
A son échelle ? Ainsi fait, tout se peut marier ;
En une conscience élevée, toute chose est immune. »
Se dit en lui-même messire l'Abbé du cloître,
En lequel officie comme caviste frère Maurice
Dont la réputation n'a cessé de croître
Mais que ce bon moine n'eut jamais triomphatrice.
Certes, le vin arrive à table souvent bien tard,
Mais lors qu'il est servi, quel merveilleux nectar !
L'on imagine alors les célestes agapes...
Plus d'un pèlerin qui eut l'honneur d'y goûter
En fut ravi, bien que devant s'arcbouter
Pour tenir au mieux cette boisson digne d'un Pape.
Le roi de la marmite
A son échelle ? Ainsi fait, tout se peut marier ;
En une conscience élevée, toute chose est immune. »
Se dit en lui-même messire l'Abbé du cloître,
En lequel officie comme caviste frère Maurice
Dont la réputation n'a cessé de croître
Mais que ce bon moine n'eut jamais triomphatrice.
Certes, le vin arrive à table souvent bien tard,
Mais lors qu'il est servi, quel merveilleux nectar !
L'on imagine alors les célestes agapes...
Plus d'un pèlerin qui eut l'honneur d'y goûter
En fut ravi, bien que devant s'arcbouter
Pour tenir au mieux cette boisson digne d'un Pape.
Le roi de la marmite
Peinture d'Eduard von Grützner (1846-1925)
Carême approchant, l'on s'y prépare, mais sans hâte ;
Du reste, il est assez du restant de l'année
Pour faire bombance ; le régime n'est point spartiate,
Pour peu d'y veiller ; lors, cessons de chicaner.
Le frère cuisinier n'a point la mesure mesquine
Et sait juger des appétits d'un œil certain ;
Quand il n'est pas à son bon office, il bouquine
Des ouvrages sur la question, sachant son latin.
De mémoire, oncques moine jamais ne s'en est plaint
Et chacun s'en est reparti le ventre plein ;
Frère Eugène s'en honore, c'est le roi de la marmite.
Ce soir, nous souperons léger : une carpe farcie
Arrosée d'un blanc d'Anjou, avec force persil.
En Héraldie, la bonne cuisine n'est pas un mythe.
Tout liquide vers le bas s'écoulant
Peinture d'Eduard von Grützner (1846-1925)
Frère Maurice, qui est encore dans toutes les mémoires,
Outre d'être du cloître le maître de chai,
Office qui lui valut naguère bien des histoires, *
N'étant pas le dernier à vider son pichet,
A comme violon d'Ingres de brasser la bière ;
En ce domaine, il n'est à nul autre pareil,
N'étant pas du genre à se mettre des œillères,
Veillant à ce que rien jamais ne dépareille
Et sachant donner au breuvage ce ton ambre
Que n'eût pas méprisé un ancien Sicambre
Ni aucun brasseur de réputation fameuse.
L'on trouvera que le frère caviste est constant
En ses goûts, tout liquide vers le bas s'écoulant ;
Sauf qu'entre ses mains, la boisson devient charmeuse.
Peinture d'Eduard von Grützner (1846-1925)
Jeûne et abstinence
Peinture d'Eduard von Grützner (German, 1846–1925)
Après Mardi Gras, où l'on fit ultime bombance,
L'on entra en ce qui s'appelle Carême-Prenant
Qui fut pour plus d'un occasion de pénitence ;
L'événement est d'ailleurs toujours surprenant,
Notamment pour le Maître de Chais, frère Maurice.
Qu'à cela ne tienne, tout moine sait se faire guerrier
Et combattre de toute tentation les prémices ;
L'esprit se doit de tenir les sens contrariés.
Après Mardi Gras, où l'on fit ultime bombance,
L'on entra en ce qui s'appelle Carême-Prenant
Qui fut pour plus d'un occasion de pénitence ;
L'événement est d'ailleurs toujours surprenant,
Notamment pour le Maître de Chais, frère Maurice.
Qu'à cela ne tienne, tout moine sait se faire guerrier
Et combattre de toute tentation les prémices ;
L'esprit se doit de tenir les sens contrariés.
Lors, le frère se proposa de faire sentinelle
Devant la futaille, par mesure compassionnelle.
« Ainsi m'assuré-je que nul n'en vienne à rompre
Cette période où prévalent le jeûne et l'abstinence ;
Car qui peut se croire à l'abri d'une négligence ?
N'est pas né celui qui me voudra corrompre ! »
Un bruit dans la nuit
Eduard von Grützner (German, 1846–1925), La poignée brisée, 1900
Tandis que la nuit est tombée sur le cloître
Et que les moines sont retirés en leur cellule,
Dans le ciel, la lune commençant à décroître,
L'écho de quelque activité noctambule
Et que les moines sont retirés en leur cellule,
Dans le ciel, la lune commençant à décroître,
L'écho de quelque activité noctambule
Remonte des plus sombres et obscures profondeurs
De la cave. Les rats dansent-ils la sarabande ?
Il faut, pour le croire, plus que sa part de candeur !
Frère Eugène, qui connaît les ides et les calendes,
N'est point homme à tenir une ascèse soutenue,
Même montrant plus que frère Maurice de retenue ;
« Allons donc, ce n'est tout de même pas une bouteille
Ou deux qui pourra faire de moi une âme damnée !
J'irai à bonne confesse le restant de l'année ;
L'Abbé, en son temps, aima le jus de la treille. »
J'irai à bonne confesse le restant de l'année ;
L'Abbé, en son temps, aima le jus de la treille. »
Frère Anatole aux casseroles
Peinture d'Ernest Nowak (Autrichien, 1851-1919)
Quelque fâcheuse aventure nocturne a valu
À frère Eugène, le chef cuisinier du cloître,
D'être mis au pain et à l'eau pour son salut ;
Lors, d'un bon remplaçant il fallut débattre,
Le temps, du moins, qu'en s'en reviennent des jours meilleurs.
Frère Anatole fut commis d'office aux cuisines
Qui, pour l'occasion, se serait bien vu ailleurs,
N'ayant de cet art pas même des notions voisines.
Le voici, un bon matin, avec un brochet
Sur les bras ; pour l'arroser, à peine un pichet
De blanc sec très léger ; la sauce serait aqueuse.
L'Abbé n'en concéda point davantage, disant
Qu'en Carême, cela serait plus que suffisant,
Qualifiant toute autre opinion de chicaneuse.
L'ire d'un Abbé qui voulait lire
Peinture d'Eduard von Grützner (1846-1925)
Dans quel état découvré-je notre bibliothèque !
Serait-il passé là-dedans quelque ouragan ?
J'ai la tête qui tourne, elle en devient même pastèque !
Le frère bibliothécaire serait-il divaguant
À son tour, lui dont la rigueur bénédictine
Le dispute à sa savante érudition ?
Parbleu ! Je lui sonnerai les cloches dès matines ;
Le bougre n'aura droit qu'à une seule édition.
Frère Maurice nous aura fait tourner en bourrique ;
Frère Eugène fut son compagnon de la barrique ;
Et voilà que frère Éloi se mêle d'en être !
En est-il d'autres à glisser sur la pente raide ?
Que tous les saints du Paradis nous viennent en aide !
D'ici Pâques, il n'en devra plus rien paraître.
Frère Maurice fait antichambre
Peinture d'Eduard von Grützner (1846 - 1925), Der Klosterbrauer
Lors que Carême n'est plus qu'un lointain souvenir
Et que Pâques fut fêtée en sa plus belle manière,
Les jours de grâce et de joie s'en peuvent revenir ;
Aussi, marche-t-on sans hâte vers son heure dernière.
Frère Maurice, qui n'est de loin pas le plus pressé,
S'en félicite, se promettant d'être plus sage.
« Pourtant, il faudra bien que la bière soit brassée,
Ne serait-ce que pour le pèlerin de passage.
Notre table d'hôte lui doit sa réputation
Et je m'en fais ici l'honnête députation.
Du bon houblon pour parfumer le meilleur orge,
Telle est ma devise, je la partage volontiers,
N'étant pas du genre à faire les choses à moitié.
Le palais se veut l'antichambre de la gorge. »
Un odorat infaillible
Peinture d'Aurelio Zingoni (Italien, 1853-1922)
« Le compte n'y est pas : pour sûr, il manque un poulet !
Que je sois rôti vif si jamais je me trompe !
Je m'en vais sur le champ enquêter, sans délai,
Mais fort discrètement, sans y mettre de pompe
Car il y va de ma réputation, pas moins.
L'on est, céans, à me fort soupçonner moi-même,
Lors que je suis un moine honnête, Dieu m'en est témoin.
Côté assiette, je ne suis pas à faire Carême,
Certes, mais pas au point de manger le blé en herbe ;
Chaque chose en son temps, je fais devise du proverbe. »
Cela dit, frère Eugène laisse là son marmiton
Et s'avise de la question. Passant près des caves,
Son nez en alerte hume un fumet des plus suaves ;
Il y descend et prend sur le fait le glouton.
Marc
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