Décryptage et Revalorisation de L'Art de L’Écu, de La Chevalerie et du Haut Langage Poétique en Héraldique. Courtoisie, Discipline, Raffinement de La Conscience, état de Vigilance et Intention d'Unicité en La Fraternité d'un Nouveau Monde !

dimanche 3 mars 2019

La Connaissance secrète (2)


Blason de Iantarny (Russie)

             Mais tout est derrière un écran, subliminal, mystique ;
             Il faut le cœur intuitif, le tournant intérieur,
             Il faut le pouvoir d’un regard spirituel.
             Sinon, pour le bref aperçu éphémère de notre mental de veille,
             Un voyage sans but semble être notre douteuse course
             Réglé par quelque Chance ou hasardé par quelque Volonté,
             Ou une Nécessité sans but ni cause
             Contrainte d’émerger et d’être malgré elle.
             Dans ce milieu épais où rien n’est pur ni sûr,
             Notre être même nous semble contestable,
             Notre vie, une vague tentative, et l’âme
             Une lumière clignotante dans un étrange monde ignorant,
             La terre, un brutal accident mécanique,
             Un filet de mort où par hasard nous vivons.
             Tout ce que nous avons appris semble une dubitable devinette,
             Les accomplissements, un passage ou une phase
             Dont le but éloigné se cache à nos yeux,
             Un événement chanceux ou une fatalité fortuite.

             Sortis de l’inconnu, nous allons à l’inconnu.
             À jamais, ici, notre brève existence est cernée
             D’ombres grises et de questions sans réponse ;
             Les mystères sans signe du noir Inconscient
             Résistent, non résolus, derrière la ligne de départ du Destin.
             Une aspiration dans l’abîme de la Nuit,
             Semence d’un corps périssable et d’une pénombre mentale,
             Lève, solitaire, sa langue de feu conscient
             Vers une Lumière impérissable à jamais perdue ;
             Seule, elle entend, pour seul écho de son appel,
             L’obscure réponse du cœur ignorant des hommes
             Et affronte, sans comprendre pourquoi elle est venue
             Ni pour quelle raison est la souffrance ici,
             Le consentement de Dieu au paradoxe de la vie
             Et l’énigme de la naissance de l’Immortel dans le Temps.
             Sur le chemin serpentin des âges,
             Blottie dans la noirceur de sa course aveugle,
             La Déesse-Terre peine à travers les sables du Temps.
             Un Être attend en elle, qu’elle espère connaître,
             Un Vocable parle à son cœur, qu’elle ne peut pas entendre,
             Un Destin la contraint, dont elle ne peut pas voir la forme.
             Dans son orbite inconsciente à travers le Vide
             Elle lutte pour sortir de son abîme insensé,
             Une vie périlleuse est son gain, une joie assaillie;
             Une Pensée qui peut concevoir mais ne sait trop rien
             Se lève lentement en elle et crée
             L’idée, la parole qui étiquette plus qu’elle n’éclaire ;
             Un bonheur tremblant qui est si loin d’une félicité
             Assiège partout cette beauté qui doit mourir.
             Angoissée par la douleur qui traîne et tire à ses pieds,
             Consciente des grandeurs qu’elle n’a pas encore conquises,
             Elle nourrit sans cesse en son sein sans sommeil
             Un irrésistible besoin qui la laisse sans trêve ni paix.
             Ignorante et lasse et invincible
             Elle cherche, par la guerre de l’âme et par ses déchirements,
             La pure perfection que sa nature souillée réclame,
             Un souffle de Dieu sur sa pierre et sa boue.
             Elle a soif d’une foi qui peut survivre à la défaite,
             Soif de la sûreté d’un amour qui ne connaît pas la mort,
             Et l’ensoleillement d’une vérité pour toujours sûre.
             Une lumière grandit en elle, elle prend une voix,
             Elle apprend à lire son état et l’acte qu’elle accomplit,
             Mais la seule vérité dont elle a besoin échappe de ses mains:
             Elle-même et tout ce dont elle est le signe.
             Un sourd murmure porte ses pas
             Dont elle sent la force mais non le sens;
             Quelques rares prémonitions viennent la guider,
             D’immenses éblouissements divinateurs déchirent son cerveau,
             Et, parfois, en ses heures de rêve et de songe,
             La vérité qui lui manquait la regarde
             Comme de très loin, et pourtant dans son âme.
             Un changement approche mais fuit ses conjectures
             Et toujours reculé, l’oblige à tenter, à espérer encore,
             Et tout de même semble trop grand pour que des espoirs mortels en aient l’audace.
             Une vision des Pouvoirs sublimes vient à sa rencontre
             Qui l’attirent tels de formidables frères perdus
             Et s’approchent avec de grands yeux de lumière exilée.
             Alors elle se sent tirée vers tout ce qu’elle n’est pas
             Elle tend les bras vers tout ce qui jamais ne fut à elle.
             Ouvrant les bras au Vide inconscient,
             Passionnément elle prie l’invisible forme des Dieux
             Suppliant la Destinée muette et le labeur du Temps
             De lui donner ce dont elle a le plus besoin, ce qui dépasse le plus son atteinte :
             Un Mental qui n’est pas visité par les miroitements de l’illusion,
             Une Volonté qui manifeste la déité de l’âme,
             Une Force qui n’est point contrainte de trébucher dans son élan,
             Une Joie qui ne porte pas la douleur dans son ombre.
             De cela, elle a soif et sent que c’est son destin:
             Elle revendique les privilèges des Cieux comme son droit même.
             Juste, est sa demande, tous les Dieux en témoignent et approuvent,
             Clair, est son droit, dans une lumière plus grande que notre raison :
             Nos intuitions sont le titre de notre propriété,
             Notre âme accepte ce que refusent nos pensées aveugles.
             Les chimères ailées de la Terre sont les coursiers de la Vérité du Ciel,
             L’impossible est le signe Divin des choses à naître.
             Mais rares sont ceux qui peuvent voir outre l’état présent
             Et faire un bond par-dessus l’épaisse haie des sens.
             Tout ce qui filtre sur la terre et tout ce qui est au-delà
             Fait partie d’un illimitable plan
             Que l’UN garde dans son cœur et seul connaît.
             Nos événements extérieurs ont leur semence dedans,
             Et même ce Destin accidentel qui imite le Hasard
             Cette masse de conséquences inintelligibles
             Sont le graphique muet de vérités qui œuvrent dans l’invisible :
             Les lois de l’Inconnu créent le connu.
             Les circonstances qui façonnent l’apparence de nos vies
             Sont la transmission chiffrée d’une vibration subliminale
             Que, rarement, nous surprenons ou, vaguement, sentons,
             Elles sont la conséquence de réalités dissimulées
             Qui, rarement, se montrent au jour de la matière :
             Elles naissent du soleil des pouvoirs cachés de l’esprit
             Qui creuse un tunnel à travers l’accident.
             Mais qui percera le gouffre énigmatique
             Et apprendra quelle nécessité profonde de l’âme
             A déterminé l’acte fortuit et les conséquences ?
             Absorbés dans la routine des gestes quotidiens,
             Nos yeux sont fixés sur une scène extérieure ;
             Nous entendons le fracas des roues de la Circonstance
             Et nous restons étonnés de la cause cachée des choses.
             Et pourtant, une Connaissance qui voit d’avance pourrait être nôtre
             Si nous pouvions prendre la position de notre esprit dedans,
             Si nous pouvions entendre la voix étouffée du démon familier.
             Trop rarement l’ombre de ce qui doit venir
             Tombe un instant sur nos sens secrets
             Qui sentent le choc de l’invisible,
             Et rarement parmi les rares qui répondent
             Le déroulement grandiose de la Volonté cosmique
             Communique son image à notre vue
             Quand l’intelligence du monde s’identifie à la nôtre.
             Notre rayon est fixé sur l’arc houleux
             De ce que nous observons, touchons, et devinons par la pensée
             Et rarement se fait jour la lumière de l’Inconnu
             Réveillant en nous le prophète et le voyant.
             L’extérieur et l’immédiat sont notre champ,
             Le passé mort est notre antécédent et notre support ;
             Le mental garde l’âme prisonnière, nous sommes les esclaves de nos actes ;
             Nous ne savons pas libérer notre regard pour toucher au soleil de sagesse.
             Héritier du bref mental de l’animal,
             L’homme, encore enfant dans les puissantes mains de la Nature,
             Vit parmi la succession des moments ;
             Son maigre droit se borne à un présent changeant ;
             Sa mémoire regarde en arrière un passé fantôme,
             L’avenir fuit devant lui à mesure qu’il bouge ;
             Il voit des vêtements imaginés et non la face.
             Armé d’une force précaire et limitée,
             Il économise le fruit de ses œuvres contre le mauvais sort.
             Une ignorance qui se débat, tel est son compagnon de sagesse :
             Il attend pour voir la conséquence de ses actes,
             Il attend pour peser la certitude de ses pensées,
             Il ne sait pas ce qu’il réalisera ni quand ;
             Il ne sait pas s’il survivra finalement
             Ou finira comme le mastodonte et le paresseux arboricole
             Éteint de la terre où il était roi.
             Il est ignorant du sens de sa vie,
             Il est ignorant de son haut destin splendide.
             Seuls les Immortels sur leurs sommets impérissables,
             Habitants de par-delà les murs du Temps et de l’Espace,
             Maîtres de l’existence, libres des chaînes de la Pensée,
             Veillant sur le Destin et le Hasard et la Volonté,
             Experts du théorème des besoins du monde,
             Peuvent voir l’Idée, le Pouvoir qui change le cours du Temps
             La crinière de lumière qui vient des mondes non explorés
             Et entendre, tandis que peine encore le monde dans l’abîme de son cœur aveugle,
             Les sabots galopants de l’événement imprévu
             Qui portent le Cavalier surhumain, proche,
             Puis impassible au tumulte et au cri d’effroi de la terre,
             Retourne au silence des montagnes de Dieu;
             Comme l’éclair tombe, comme le tonnerre éclate, ils passent
             Et laissent leur marque sur la poitrine saccagée de la Vie.
             Au-dessus du monde, les créateurs du monde se tiennent,
             Dans les phénomènes, ils voient la source mystique.
             Ceux-là ne se soucient point du jeu trompeur dehors,
             Ils ne pèsent point la marche affairée du moment;
             Avec la tranquille patience du Non-né, ils écoutent
             Les pas lents de la Destinée lointaine
             Qui s’approchent à travers d’énormes distances de Temps,
             Inaperçus par les yeux qui regardent les effets et les causes,
             Inentendus dans la clameur du plan humain.
             Attentifs à une Vérité de par-delà, ils saisissent
             Un son comme d’invisibles ailes d’augures,
             Des voix insondablement signifiantes,
             Les grondements qui couvent au noyau de la Matière torpide.
             Dans l’audience profonde du cœur, ils peuvent capter
             Les murmures perdus pour l’oreille insoucieuse de la vie,
             La parole prophétique dans la transe omnisciente de la pensée.
             Au-dessus de l’illusion des espoirs qui passent,
             Derrière l’apparence et l’acte visible,
             Derrière l’horlogerie du hasard et les vagues conjectures,
             Au milieu du combat des forces, dans l’écrasante ruée,
             À travers les cris d’angoisse et de joie,
             À travers le triomphe, et la lutte et le désespoir,
             Ils regardent cette Félicité pour laquelle le cœur de la terre a crié ;
             Sur la longue route qui ne peut voir son but
             Insoupçonnée, elle se glisse à travers les jours sceptiques
             Et ils guident à sa rencontre ce monde mouvant et insouciant.
             Ainsi montera sur son trône le Transcendant masqué.
             Quand l’obscurité se fera profonde, étranglant la poitrine de la terre,
             Quand le mental corporel de l’homme sera la seule lampe,
             Comme un voleur dans la nuit viendront les pas cachés
             De l’Un qui entre inaperçu dans sa maison.
             Une Voix mal entendue parlera, l’âme obéira,
             Une Puissance furtive gagnera la chambre intérieure du mental,
             Un charme et une douceur ouvriront les portes closes de la vie
             Et la beauté vaincra la résistance du monde,
             La lumière-de-vérité capturera la Nature par surprise,
             À pas de loup, Dieu contraindra le cœur à la félicité
             Et la terre deviendra divine sans s’y attendre.
             Dans la Matière s’allumera le brasier de l’esprit,
             Dans les corps et les corps s’enflammera la naissance sacrée ;
             La Nuit s’éveillera à l’hymne des étoiles,
             Les jours deviendront une heureuse marche de pèlerin,
             Notre volonté, une force du pouvoir de l’Éternel
             Et la pensée, un rayonnement du soleil de l’Esprit.
             Quelques-uns verront ce que nul encore ne comprend ;
             Dieu grandira tandis que les hommes sages parlent et dorment ;
             Car l’homme ne saura point l’avènement jusqu’à son heure
             Et la foi ne sera point jusqu’à ce que l’œuvre soit accomplie.


Shri Aurobindo, Savitri, Le livre des commencements, Chant Quatre 

(Traduction de Bernard Enginger dit Satprem, 1923-2007)

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