La Forêt primordiale est une forêt qui
prend parfois des teintes bleues, mais la plupart du temps, Elle est
d’un vert émeraude. Elle se situe à l’intérieur d’un écrin, serti de
rubis et de perles nacrées. Lors que l’aube se lève en cette contrée
devenue occulte depuis que les hommes sont entrés en l’âge de fer, ( las
! parce qu’ils ont perdu peu à peu le nom initial de La Forêt, et
qu’ils n’ont plus eu accès aux subtilités des mondes, ni plus eu accès
au chemin qui y mène) trois soleils montrent leur visage, tandis que La
Lune opale les rejoint en une course singulière et fusionne pour ne
faire plus qu’un seul astre. Comment les hommes ont-ils bien pu perdre
ces richesses ? Ne se sont-ils pas consacrés frénétiquement à développer
de façon assez singulière des stratégies pour ornementer leur jour et
faire montre de leur puissance chimérique ? Ils ont échafaudé d’étranges
tunnels en ce labyrinthe de vie, ce qui les a figés malheureusement
dans les sphères intermédiaires et même, ne se sont-ils pas souvent
retrouvés à la dérive, au pays des limbes ? Là, règne une atmosphère
enfumée et pestilentielle, qui se répand en nues, opacifiant ainsi
complètement leur esprit et leur faisant oublier l’essentiel. Depuis,
ils ont malencontreusement ouvert les brèches des divers mondes subtils
et ont permis aux démons de toutes sortes d’empiéter sur leur
territoire, cela depuis des millénaires, tandis que ces derniers
s’évertuent à anéantir les fils d’Adam et les déposséder de leur réalité
intrinsèque. Lors de la descente de l’humanité, leur Père avait fait
en sorte d’emporter avec lui des pans entiers du Jardin. Il lui avait
été accordé de faire plusieurs voyages. Ainsi, il permit le tracé d’un
sillon éthérique et fluvial afin que jamais ses enfants n’oublient leur
origine primordiale. Le Père de l’humanité avait pris soin de répandre
ces effluves édéniques. Il avait découvert en lui le pouvoir de la
transformation et celui des reliances. Les arbres du Paradis, qu’il
avait ramenés lors de sa descente, s’étaient adaptés aisément à leur
nouveau milieu de vie. Ces arbres sont en vérité de grands sages, dont
la patience et la loyauté sont, de nos jours, devenues légendaires. Ils
éprouvent à l’égard d’Adam ainsi qu’envers sa descendance, un Amour
incommensurable et c’est pour cela même qu’ils n’ont pas hésité une
seule seconde à s’enraciner dans la Terre Matricielle.
La huppe, qui séjourne toujours en la
Forêt primordiale, attend. Parfois elle vient rendre visite à celui qui
demeure aujourd’hui dans le grand secret, s’étant réfugié sciemment
loin des hommes de son époque. Elle aime tout particulièrement sa
compagnie. Ils s’entretiennent longtemps et se remémorent l’âge d’or.
Pourtant, la huppe est d’humeur très chagrine.
– L’homme ne sait plus se mettre en son
silence et cette matrice qui lui tient de lieu de vie tend à révéler
combien le bruit intérieur de son mental, les futilités de ses
orientations, au demeurant très rétrécies et limitées, sont à se
manifester de plus en plus à l’extérieur. Même son recueillement est
entaché de distraction. Il est sans cesse en mouvement. Cette
précipitation fait basculer ce monde en une frénésie sidérante. Ils
schématisent les relations humaines en un bivouac métallique. Tel est
l’âge de fer : ne plus savoir accéder aux réalités de L’Être. Que de
bruit ! Que de bruit ! Leur âme a fui leur corps qui s’articule tel un
pantin. Tandis que les uns éprouvent la peur de ne plus être, d’autres
s’accrochent à la matière comme étant la seule concrétude existentielle.
Ne réalisent-ils pas enfin que ceci est une magistrale impasse ? Leur
âme pleure et ils ne le savent pas. La peur les gagne et ils ne le
savent pas. Ils sont manipulés par toutes sortes de ténèbres, et ils ne
le savent pas. En eux est le pouvoir du renversement. Mais, ils ne le
savent plus. Les gens ont peur de perdre leur confort. Comment en
sont-ils arrivés à miser sur ce qui est impermanent ? Je trouve que les
hommes sont devenus fous.
– Peut-être que les hommes ne sont plus des hommes…
C’est alors que la huppe scruta longtemps son ami et émit son
chant très particulier. Elle semblait soudain gagnée par une grande
mélancolie.
– A quoi reconnait-on les fils d’Adam ? demande-t-elle soudain.
– Tu connais la réponse, noble huppe.
– Les hommes connaissent leur âme.
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