Celui qui donne ce qu'on lui donne, donne-t-il vraiment ?
Chaque jour, j'écrivais.
Dès que j'ai su écrire, je me suis mise à chercher un petit papier pour y laisser courir dessus les mots.
Tout ce qui se pouvait se bousculer dans les yeux du quelqu'un voulait se ranger en petites phrases alignées.
Les mots n'ont de sens qu'avec ce qui les précède.
La vie se désirait en ces phrases.
Souvent, elles étaient ascensionnelles sur la feuille.
J'avais beau tracer une ligne droite, elles galopaient toutes seules vers le ciel.
Je les rattrapais souvent au lasso !
Comme je n'avais pas de carnet de route, j'apprenais par cœur les envolées de mots qui aimaient tant caresser les feuilles et se promener dans les prés.
Ils touchaient presque imperceptiblement le silence des champs.
Aussitôt rentrée à la maison, il fallait coucher tout ce beau monde.
Alors, la feuille grattait mon crayon. Elle avait les sueurs de mes promenades.
Parfois, la page blanche se cognait à ma fougue.
Il se passait souvent cette chose étrange : la feuille me faisait place. Elle m'accueillait les bras grand ouverts.
J'aimais respirer son odeur.
Comme elle m'a offert les sentiers multiples du rêve !
Ce quelqu'un s'est toujours étonné : écrire, c'était vivre et vivre, encore et encore.
Tout retrouver intact.
Tout revivre !
Tout revisiter !
Ce quelqu'un n'a jamais cru que la vie lui appartenait.
Il fallait tout redonner, tout offrir.
Plus tard, j'ai compris que la vie se donnait en cette Présence toujours renouvelée, toujours fraîche !
La vie est bien plus curieuse que ce quelqu'un.
Elle se veut se découvrir encore et encore.
Je suis juste à voir passer la vie.
Elle a les yeux écarquillées de se voir encore et encore !
La Vision est toujours singulière, étonnante !
Rien ne semble se tiédir.
Quand le Bouclier est revenu de L'Ailleurs, il s'est trouvé surpris.
Il a vu à sa porte une moribonde.
Elle s'allongeait chaque jour en sa tombe et attendait.
Elle ne ressentait plus le besoin de continuer.
Le Bouclier s'est étonné.
Il lui est apparu une bouche.
Il a parlé à la moribonde.
Elle s'est relevée surprise et a dit : qui me parle ici ?
Le Bouclier s'est avancé : Je suis votre Vision.
La moribonde est restée longtemps silencieuse.
- Si tu es un songe, suis-je enfin dans L'Autre Monde ?
- Viens, marchons un peu. Je te le dirai plus tard.
- Tu ressembles à quelqu'un que je connais.
- A qui ressemblé-je ?
- Je crois qu'il s'appelle Cyrano de Bergerac.
Le Bouclier se met à rire.
Océan sans rivage
Illustration de Fyodor Pavlovich Reshetnikov (Russe, 1926-1988)
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