Allégorie 11 – La Camomille
La camomille, ravie de sa propre beauté, exalta ainsi son mérite :
Voici le temps de ma venue ; voici l’époque où j’embellis les champs, où ma végétation est dans toute sa vigueur, où ma beauté est plus douce et plus agréable. Comment les jours où ma fleur s’épanouit, ne seraient-ils pas délicieux ! Ces ruisseaux mentionnés si souvent dans le Coran ne viennent-ils pas baigner mes tiges ! Et comment ne paierais-je pas avec reconnais-sance ma dîme annuelle, puisque, sans avoir employé la force ni la violence, les bienfaits, au contraire, de tout ce qui m’entoure, me font un devoir de la payer ! Mes pétales blancs servent à me faire connaître de loin, et mon disque jaune imprime une douce langueur sur ma corolle : on peut comparer la différence de ces deux couleurs, à celle qui existe dans les versets du Coran, dont les uns sont clairs et les autres obscurs. Si tu es en état de comprendre les emblèmes, lève-toi et viens profiter de ceux qui te sont offerts ; sinon, dors, puisque tu ne sais pas interpréter la nature qui te déploie ici tous ses charmes ; mais, il faut l’avouer, ton ignorance est bien coupable.
Ne me blâme point si tu ne saisis pas le sens caché de ce que je te dis, et si tu ne comprends pas les mystères de mes allégories ; c’est par pure compassion pour toi que je te parle dans le langage expressif des emblèmes ; mais c’est en vain ; ton oreille est sourde à mes leçons. Eh quoi ! tu ne sais pas tirer une utile instruction de ma mort apparente, qui a lieu chaque année, et des tourments cruels que les destins me font souffrir ! Tu es souvent venu m’admirer, lorsque ma fleur épanouie brillait du plus doux éclat ; tu es venu de nouveau peu après, et tu ne m’as plus trouvée. Lorsque je conte ma peine aux colombes du bosquet touffu, elles calment mes ennuis, et semblent répondre à mes gémissements ; car elles n’ignorent pas que je suis exposée à mille genres de morts. Tu prends ces plaintes douloureuses pour le chant du plaisir et de la volupté, et joyeux tu te divertis sur le gazon émaillé de mes fleurs ; hélas ! il est fâcheux que tu ne saches pas distinguer ma gaieté d’avec ma tristesse.
Illustration : Camamille - Camamilla (Matricaria chamomilla L. = camomille) -- Grandes Heures d'Anne de Bretagne, BNF, Ms Latin 9474, 1503-1508
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