Vous ai-je fait le récit de cette
histoire pour le moins étrange ? Afin de rejoindre un sage dont on
m’avait fait forte louange et qui séjournait en une contrée lointaine,
j’avais dû entreprendre un grand voyage, compagnée de tous mes amis.
Lors, nous dûmes franchir un grand nombre de cols de montagnes,
traverser des zones pour le moins isolées, pour nous retrouver, enfin,
jusqu’à la bouche d’un vaste désert. Quand nous parvînmes chez lui, nous
crûmes pénétrer dans le jardin d’Eden. Une luxuriante végétation nous
accueillit, tandis que des animaux de toutes sortes se côtoyaient, et
sur des tonnelles s’étaient perchés des paons dont les queues
s’offraient en de larges éventails de couleurs. Nous passâmes sous
différentes arches, tandis que le sage nous attendait debout devant le
pilier d’une voûte en pierres. Son regard incisif nous submergea et nous
éprouvâmes la plus fascinante des douceurs. Le soleil avaient blanchi
les murs de sa petite demeure où il nous convia. Nous nous installâmes
sur des tapis d’orients, face à lui. C’est alors que le sage se mit à
parler en nous fixant de son regard charismatique : « Un jour, je
marchais dans la nuit et j’aperçus une petite fille aux yeux clairs. Ses
cheveux blonds bouclaient autour de son visage nimbé de lumière. Elle
se lança vers moi et me demanda de l’aider, car elle s’était perdue en
cours de route. Elle me supplia avec ses yeux emplis de larmes de me
conduire chez elle. Je la vis qui tremblait de froid et j’ôtai mon
manteau afin de couvrir son petit corps frêle. Je l’accompagnai jusqu’à
la porte et elle me remercia, et quand elle voulut me remettre mon
manteau, je lui dis : garde-le, je reviendrai plus tard et tu me le rendras.
Cette petite fille apparue dans la nuit me laissa un souvenir
inexplicable. J’étais presque hanté par son image évanescente. Je ne pus
me résoudre à l’oublier. Je pris, au bout de quelques jours, la
décision de me rendre enfin chez elle et de frapper à sa porte. Ce que
je fis sur le champ puisque j’avais mémorisé le chemin pour m’y rendre.
Je frappai à la porte, et là, une femme d’un certain âge m’ouvrit. Je
lui demandai à brûle pourpoint si je pouvais voir sa petite fille. Sans
un mot, elle s’empara d’un fichu qu’elle posa sur sa tête et me demanda
de la suivre. Nous marchâmes durant un long quart d’heure. Je n’osais
lui poser de questions. Elle marchait et je suivais cette femme, en
silence, le cœur étonnement ému. Enfin, nous arrivâmes à destination, et
j’eus la grande surprise de découvrir, sur une minuscule tombe, le
manteau bleu dont j’avais enveloppé la petite fille. Je compris, alors,
que j’avais eu affaire cette nuit-là, à l’esprit de la petite fille et
que celle-ci était morte depuis des années déjà. » Quand le sage eut
achevé de conter son histoire, il me regarda avec une insistance qui me
troubla, et je me mis à pleurer, doucement…
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