Blason de Bremervörde (Basse-Saxe, Allemagne)
Mais en attendant, tout est une ombre projetée par un rêve,
Et pour l’Esprit immobile qui rêve,
La vie et lui-même revêtent l’aspect d’un mythe,
Tel le fardeau d’une longue histoire dépourvue de sens.
Car la clef est cachée, elle est gardée par l’Inconscient ;
Le Dieu secret demeure sous le seuil.
Dans un corps qui aveugle l’Esprit immortel,
Souverain sans nom qui délègue des pouvoirs invisibles
À des formes de Matière et pour des motifs impensables
Avec le danger de conséquences non-devinées,
Il siège, telle une Influence toute-puissante et indiscernable,
Insenti des formes dans lesquelles il vit,
Voilant sa connaissance derrière un mental tâtonnant.
Vagabond dans un monde que ses pensées ont fait,
Il tourne en rond dans un clair-obscur d’erreur et de vérité
Pour trouver une sagesse, pourtant sienne en haut.
Comme un amnésique, il court après lui-même ;
Il cherche, comme s’il avait perdu une lumière intérieure :
Tel un étranger qui erre parmi des scènes bizarres
Il voyage vers un pays qu’il ne connaît plus.
Il cherche la vérité de son propre moi, lui qui est la Vérité ;
Il est le Joueur qui est devenu le jeu,
Il est le Penseur qui est devenu la pensée,
Il est l’innombrable qui était l’Un silencieux.
Dans les visages symboliques de la Force cosmique
Et dans les signes vivants ou inanimés qu’Elle prodigue
Et dans le réseau entremêlé de ses événements
Il explore le perpétuel miracle de lui-même,
Jusqu’au jour où les milliers de mille énigmes seront résolues
Dans l’unique lumière d’une Âme qui voit tout.
Tel était le pacte conclu avec sa formidable Compagne
Pour l’amour d’Elle et lié à Elle pour toujours
Dans la course de l’éternité du Temps
Parmi les drames enchantés de ses humeurs subites
Et les surprises de l’Idée qu’Elle masque
Et les vicissitudes de son immense caprice.
Deux semblent ses buts, pourtant un à jamais
Qui se regardent l’un l’autre à travers le Temps sans bornes ;
Esprit et Matière sont leur destination et leur source.
Chercheur du sens caché dans les formes de la vie
Et de la lointaine volonté sans carte de la grande Mère
Et de la dure énigme de ses routes terrestres,
Il est l’explorateur et le marin
Sur un océan intérieur secret et sans limite :
Il est l’aventurier et le cosmologue
De l’obscure géographie d’une terre magique.
Dans le dessein de l’ordre matériel qu’Elle a fixé
Où tout semble sûr, et même changé reste pareil
Bien que la fin demeure toujours inconnue
Et le flot mouvant de la vie, toujours instable,
Les chemins qu’il suit sont trouvés pour lui par le destin silencieux ;
Comme des havres dans la marée tourbillonnante des âges,
Des terres fermes apparaissent et restent un moment, tentantes,
Puis d’autres horizons séduisent la marche du mental.
Il n’y a point de fin à l’infinitude du fini,
Il n’y a point d’ultime certitude où la pensée puisse se poser
Et point de terminus à l’expérience de l’âme.
Une limite, quelque là-bas jamais tout à fait touché,
Une perfection hors d’atteinte l’appellent
Depuis de lointaines frontières dans le Non-Vu :
Seul, un long commencement a eu lieu.
Shri Aurobindo, Savitri, Le livre des commencements, Chant Quatre
(Traduction de Bernard Enginger dit Satprem, 1923-2007)
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